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Le potentiel des forfaits ambulatoires

Michele Genoni, président de la FMCH, et Pius Zängerle, directeur de curafutura, sont unanimes sur le fond: l’existence des forfaits est justifiée. En ce qui concerne les détails, leurs avis divergent toutefois radicalement.

Prof. Dr. med. Michele Genoni, président de la FMCH

Pius Zängerle, directeur de l’association faîtière curafutura

Patrick Rohr, journaliste et photographe

26. octobre 2021

Patrick Rohr: Monsieur Zängerle, vous êtes un défenseur circonspect des forfaits ambulatoires, pour ne pas dire un opposant. Pourquoi?
Pius Zängerle: Je ne m’oppose pas aux forfaits ambulatoires. Il s’agit d’une forme de rémunération qui convient à de nombreux domaines, et pas uniquement à la médecine. La question cruciale est de savoir où les utiliser pour éviter les mauvaises incitations.

Selon vous, où pourrait-on les appliquer judicieusement dans le domaine ambulatoire?
Pius Zängerle: Partout où il est possible de standardiser les interventions et de distinguer la prestation en question des prestations préalables et ultérieures.

Pouvez-vous nous donner des exemples?
Pius Zängerle: Toutes les interventions planifiées dont la durée est clairement délimitée: les opérations ophtalmologiques, par exemple.

Vous estimez donc que ce n’est pas le cas pour nombre d’interventions. Votre association curafutura parle de 20 %, me semble-t-il.
Pius Zängerle: Ces hypothèses reposent sur l’expérience. Nous estimons en effet que les chiffres sont plutôt faibles. Les prestations qui ne remplissent pas les critères évoqués sont nombreuses.

«Je ne crois pas que les forfaits ambulatoires permettent de faire des économies importantes.»

Pius Zängerle

Monsieur Genoni, êtes-vous du même avis?
Michele Genoni: Cela dépend de la définition qu’on adopte. Je pense moi aussi que les forfaits sont utiles lorsqu’ils concernent des interventions bien définies et limitées à une certaine durée et qu’on peut les standardiser. En ce qui concerne les chiffres, cela dépend de ce qu’on regarde. Dans les sociétés de disciplines médicales chirurgicales et invasives que je représente, nous estimons que le potentiel est énorme. Nous pensons que l’on pourrait utiliser les forfaits de manière presque
généralisée.

santésuisse, qui compte parmi les défenseurs convaincus des forfaits ambulatoires, avec la FMCH, articule un chiffre de presque 80 %.
Michele Genoni: J’ai moi-même lu celui de 70 %. Mais en effet, cela nous paraît réaliste pour les prestations ambulatoires des hôpitaux. Selon moi, il est important que nous n’ayons pas un système unique. Les forfaits sont évidemment complémentaires au tarif à la prestation.

On parle d’un côté de 20 % des prestations pouvant être forfaitisées, de l’autre, de 70 %: c’est une sacrée différence. Comment l’expliquez-vous?
Michele Genoni: Cela dépend de la définition qu’on adopte. Si l’on considère toutes les interventions possibles en ambulatoire, on trouve un autre chiffre que lorsqu’on se limite aux activités des sociétés médicales que je représente.

«Selon moi, il est important que nous n’ayons pas un système unique. Les forfaits sont évidemment complémentaires au tarif à la prestation.»

Michele Genoni

Selon le rapport d’experts mandaté par le Conseil fédéral, les forfaits ambulatoires entraîneraient une réduction des coûts. Etes-vous du même avis, Monsieur Zängerle?
Pius Zängerle: J’estime en effet que la simplification des aspects administratifs constitue un avantage. Le médecin procède à une facturation simple sans devoir saisir plusieurs prestations. Toutefois, je ne crois pas que les forfaits ambulatoires permettraient ainsi de faire des économies importantes. Les prestations en soi ne coûtent pas moins cher. Je ne pense pas non plus que la FMCH ait commencé à élaborer des forfaits pour cette raison.

Monsieur Genoni, il est vrai que vous n’avez pas intérêt à concevoir des forfaits qui vous sont défavorables.
Michele Genoni: Nos calculs reposent sur la valeur médiane et non pas la valeur moyenne. Cela signifie que les cas extrêmes seront soit sous-payés soit mieux rémunérés qu’avant. L’expérience montre que les valeurs médianes permettent toujours de faire des économies.
Des économies réelles?
Michele Genoni: A l’avenir, les médecins ne pourront plus facturer des prestations non comprises dans le forfait, ce qui freine l’extension du volume des prestations. Cet effet contribue à juguler la hausse des coûts. Les forfaits ambulatoires sont une pièce du puzzle. Je ne peux pas encore vous dire à quel point elle contribuera à freiner l’augmentation des coûts.

Monsieur Zängerle, vous avez dit au début que les forfaits pouvaient entraîner de mauvaises incitations. Lesquelles?
Pius Zängerle: Supposons qu’un fournisseur de prestations procède rarement à une certaine intervention et que, lorsque cela arrive, il doive prendre en charge les cas complexes. Dans ce cas, il aurait peu d’intérêt à continuer de pratiquer cette intervention. Les forfaits inappropriés peuvent induire une sélection des risques du côté des médecins.

Pensez-vous vraiment que certains médecins pourraient se dire: ce cas est trop complexe pour moi; je préfère le refuser car le forfait n’est pas avantageux?
Pius Zängerle: Bien entendu, tout membre du corps médical nierait penser ainsi. Pourtant, il existe suffisamment d’exemples dans les sciences socioéconomiques montrant que les professionnels ont tendance à privilégier les prestations surpayées au détriment de celles qui sont moins avantageuses.

Mais chaque médecin a fait le serment d’aider les autres quelle que soit la situation!
Pius Zängerle: Le médecin peut tout simplement adapter son offre ou choisir ses patients en fonction de celle-ci: ces effets-là sont bien connus. Je ne dis pas que le problème est généralisé, mais il constitue un risque potentiel.

Monsieur Genoni, les médecins refusent-ils de prendre certains cas à risque sous prétexte qu’ils sont moins lucratifs?
Michele Genoni: Il y a des moutons noirs partout, même parmi nous.

Par conséquent, les forfaits ambulatoires pourraient effectivement entraîner une sélection des risques.
Michele Genoni: La grande majorité de nos collègues fait son travail correctement, et de façon éthique. Ce sont ces personnes que je représente. Après tout, nous ne connaissons pas non plus d’offre insuffisante en soins dans le domaine stationnaire avec SwissDRG. Nos soins de base sont bons et couvrent tout le territoire suisse.

Aussi pour les cas complexes et les risques élevés?
Michele Genoni: Bien entendu, il n’est pas possible de prodiguer tous les soins en ambulatoire. Divers facteurs rendent cela impossible. L’implantation d’un pacemaker peut avoir lieu en ambulatoire, mais elle nécessite un suivi. Que faites-vous en hiver, alors que la nuit tombe à 16 heures, avec une patiente de 85 ans qui ne marche plus très bien, dont les capacités mentales déclinent un peu et qui ne retrouve plus son domicile? Cette dame doit pouvoir rester à l’hôpital pour être suivie pendant la nuit. Beaucoup doit donc être fait en stationnaire. Cependant, il ne doit surtout pas y avoir de différence entre la rémunération ambulatoire et stationnaire.
Pius Zängerle: Cette année, ma mère, qui a 90 ans, a été opérée de la cataracte en ambulatoire. Elle n’a donc pas dû rester la nuit à l’hôpital. Bien sûr, elle n’a toutefois pas été suivie de la même manière qu’une personne de 50 ans qui subit la même intervention.

Vous voulez dire que son suivi était plus complexe.
Pius Zängerle: Oui, le cas d’une dame âgée est plus difficile, en raison des comorbidités. Il faut tenir compte de certaines conditions différentes.
Michele Genoni: Les standards sont importants en médecine. En règle générale, il est possible de les appliquer dans 18 cas sur 20. Il existe néanmoins toujours des exceptions; mais la grande majorité des cas est bien représentée par les standards.
Pius Zängerle: A cela s’ajoute un autre problème: si les forfaits deviennent obligatoires, le degré de complexité augmente puisque des domaines de prestations inadaptés aux forfaits devraient malgré tout être soumis à une telle tarification. Il ne serait plus possible de dire que tel cas est une exception et que nous pouvons faire autrement cette fois-là. Cette évolution a besoin de temps.
Michele Genoni: Regardons le système DRG allemand. Dans ce pays, tous les hôpitaux ont le même baserate, contrairement à la Suisse, où chaque
hôpital dispose du sien. En contrepartie, l’Allemagne prévoit une rémunération supplémentaire. Prenons l’exemple d’un patient à risque, que je ne peux pas traiter en ambulatoire: je le prends en charge en stationnaire et perçois une rémunération complémentaire.
Pius Zängerle: Oui, mais cela devient compliqué.
Michele Genoni: Il s’agit uniquement de réglementer les exceptions.
Pius Zängerle: Bien sûr. Nous connaissons les rémunérations complémentaires dans le cadre de SwissDRG: il y en a des centaines …

Si c’est possible pour SwissDRG, alors pourquoi pas dans l’ambulatoire?
Pius Zängerle: C’est faisable, absolument. Encore une fois, je ne veux pas dire que les forfaits sont une mauvaise chose. Je dis simplement qu’ils posent certains défis. Les exceptions au caractère obligatoire sont l’un d’entre eux.

Monsieur Genoni vient de proposer une solution à cela.
Pius Zängerle: Cette solution rend justement le système très complexe, ce qui est contradictoire par rapport à la promesse de nous simplifier la vie au moyen des forfaits et d’offrir une solution simple et rapide à nos problèmes.
Michele Genoni: Nous ne devrions pas discuter uniquement des exceptions …
Pius Zängerle: Bien sûr que si. Dans un système obligatoire, il faut tenir compte des exceptions.

Interview: Patrick Rohr

En parlant de complexité, Monsieur Zängerle: le chemin allant de TARMED au nouveau système de tarification à la prestation TARDOC n’a pas vraiment été simple non plus …
Pius Zängerle: Vous mélangez le résultat avec le chemin parcouru pour y arriver. Je sais que le chemin est encore long en ce qui concerne les forfaits avant que nous parvenions à transformer un système basé sur le volontariat et l’expérience en système obligatoire. Souvenez-vous que l’assurance-maladie fut facultative pendant une centaine d’années, avant de devenir obligatoire en 1996. Depuis, il a fallu régler de nombreuses exceptions et des exceptions aux exceptions afin de mettre en œuvre cette obligation. Tous les systèmes se caractérisent par une certaine complexité.

Malgré toutes les craintes, le système SwissDRG, introduit en 2012, fonctionne très bien.
Pius Zängerle: Il a pu être lancé rapidement, car on a «helvétisé» un système utilisé dans un autre pays. SwissDRG a connu des améliorations au fil des ans.
Michele Genoni: C’est un système qui apprend avec l’expérience. Les forfaits ambulatoires connaîtront aussi une évolution au cours du temps. Leur potentiel est immense, surtout dans nos domaines de spécialité.

Monsieur Genoni, avez-vous l’impression que les forfaits améliorent la qualité?
Michele Genoni: Nous avons volontairement associé aux forfaits des indicateurs relatifs à la qualité. Je pense qu’une meilleure qualité permet aussi de limiter les coûts.

Est-ce un bon argument en faveur des forfaits, Monsieur Zängerle?
Pius Zängerle: De toute manière, il faut améliorer la qualité. Le législateur l’exige lui aussi. La qualité n’est pas rattachée à un seul système tarifaire, mais on peut combiner les deux. J’y vois vraiment une opportunité. Selon moi, il reste une question importante à laquelle nous n’avons pas encore répondu: comment passer du caractère facultatif à une obligation?

Monsieur Genoni, pouvez-vous y répondre?
Michele Genoni: Nous avons déjà soumis 75 forfaits pour approbation au Conseil fédéral. Une fois qu’ils seront approuvés, le calcul de tous les montants durera un certain temps. Par ailleurs, le Parlement a décidé en juin que les forfaits ambulatoires approuvés deviendraient contraignants. Le premier train de mesures visant à freiner la hausse des coûts ouvre donc la voie au changement.

Prof. Dr. med. Michele Genoni

Michele Genoni préside depuis 2020 la FMCH, qui réunit des sociétés de disciplines médicales chirurgicales et invasives et des groupements de spécialistes. Depuis 2019, il est directeur médical de la clinique de réadaptation Seewis (GR). Avant cela, il était médecin-chef de la clinique chirurgicale de l’Hôpital du Triemli, à Zurich.

Pius Zängerle

Pius Zängerle, dipl. math. EPF, lic. oec. HSG, est directeur de l’association faîtière curafutura, regroupant des assureurs-maladie dont la CSS. Auparavant, il était président du Centre de la culture et des congrès de Lucerne et membre PDC du Grand Conseil lucernois. Il a aussi présidé l’association de communes LuzernPlus jusqu’en 2019.

Patrick Rohr

Patrick Rohr est journaliste et photographe. A Zurich, il possède sa propre agence de communication et de production médiatique. Il a été rédacteur et animateur dans des émissions de la télévision suisse alémanique («Schweiz aktuell», «Arena», «Quer», etc.) jusqu’en 2007.

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