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Une empreinte indéniable

Bürokratie
Le terme bureaucratie a pris une connotation négative. Il est devenu synonyme de travail inutile et de lourdeur administrative. Bien que l’ampleur et les causes de l’empreinte bureaucratique demeurent imprécises, des solutions judicieuses existent.

Dr. Marco Portmann, dirige le domaine des conditions-cadres politiques à l’Institut de politique économique suisse (IWP) de l’Université de Lucerne

14. février 2023

Lorsque le terme «bureaucratie» est apparu (littéralement le pouvoir de l’administration), il avait une connotation tout à fait positive. Il s’agissait d’un système étatique fondé sur la rationalité, la fiabilité, l’Etat de droit et l’efficacité. La théorie de la bureaucratie met l’accent sur les relations entre le principal et l’agent, c’est-à-dire le mandant et le mandataire. Une telle relation existe entre les électeurs et le gouvernement, de même qu’entre le gouvernement et l’administration. Les relations sont caractérisées par l’avantage de l’agent en termes d’informations par rapport à son mandant. Seul l’agent connaît en détail les coûts réels, la qualité, l’assiduité et l’efficacité avec lesquels il exécute ses tâches. Le principal reste dans l’ignorance.

L’agent peut exploiter son avantage en matière de connaissances pour atteindre ses propres objectifs. Ainsi, un bureaucrate en chef – par exemple le directeur d’un office – peut tenter d’arracher au gouvernement le plus gros budget possible et de maximiser son influence ou son prestige. L’objectif peut également consister, au choix, à créer un environnement de travail confortable, c’est-à-dire à maximiser la routine.

Le gouvernement est tout à fait conscient de l’asymétrie de l’information et des problèmes qui en découlent. Il tente de maîtriser la bureaucratie par des mesures telles que des règles comptables standardisées, un budget global et des mandats de prestations. Les coûts liés aux budgets excessifs, à l’inefficacité et à la mauvaise planification doivent toutefois être soupesés par rapport aux coûts liés aux mécanismes de contrôle. Par ailleurs, il y a un risque que des coûts ne soient pas imputés au budget de l’Etat, mais se répercutent sur les citoyennes et citoyens et les entreprises en tant que coûts induits par la réglementation.

La concurrence donne une discipline

Entre le conseil d’administration et la direction, ainsi qu’entre la direction et les collaboratrices et collaborateurs d’entreprises privées, les relations se déroulent selon le modèle principal-agent. Il existe toutefois des différences importantes en ce qui concerne les conditions-cadres dans lesquelles les entreprises privées et l’Etat exercent leurs activités. Dans les entreprises privées, la concurrence génère des signaux de prix et des statistiques sur les chiffres de vente et l’évolution du marché, qui peuvent être utilisés en permanence pour optimiser le processus de production et l’offre. En outre, la concurrence incite les entreprises à utiliser les informations disponibles de façon efficace afin de rester compétitives.

En revanche, dans la sphère étatique, les caractéristiques positives de la concurrence font généralement défaut. L’Etat est souvent le fournisseur exclusif de biens et de services. De plus, les entreprises proches de l’Etat sont souvent actives dans des secteurs où la concurrence est limitée. Même si l’Etat n’intervient sur les marchés qu’en émettant des règlements, il peut bouleverser la structure des prix au point de réduire à néant l’effet anti-bureaucratique de la concurrence.

Dépenses de personnel réalisées par l’Etat en 2019

Par habitant et en % du PIB (sources: Eurostat, IWP)

Les pièges de la prise de mesure

Les statistiques courantes attestent d’une faible empreinte étatique en Suisse. Par rapport à son (grand) PIB, la Suisse dépense peu pour l’administration et l’Etat dans son ensemble. Si l’on considère les dépenses publiques et plus spécifiquement les dépenses administratives en francs par habitant, la Suisse se situe dans la moyenne européenne (graphique ci-dessus). Le système de santé illustre parfaitement un autre piège de la prise de mesure de l’empreinte étatique. En effet, ni le personnel des acteurs privés ni celui des nombreuses entreprises et institutions publiques du secteur de la santé ne sont inclus dans les chiffres suisses présentés, alors qu’ils le sont dans d’autres pays. Pourtant, personne n’entend nier le rôle important au sein du système de santé de l’Etat en tant que régulateur, organisme-payeur et propriétaire.

Tant à la Confédération que dans les cantons, on a pu constater une augmentation constante de l’activité réglementaire, mesurée en actes législatifs par année, au cours des dernières décennies. La croissance de l’emploi dans le secteur public et de l’activité réglementaire pourrait donner l’impression d’une bureaucratisation croissante. Il est néanmoins difficile d’évaluer s’il s’agit d’une surréglementation croissante. Pour ce faire, il faudrait recenser systématiquement les avantages et les coûts qui découlent des réglementations pour les entreprises et les personnes physiques.

Moins de bureaucratie, mais comment?

Il n’existe pas de solutions simples pour réduire la bureaucratie «inutile». Quatre approches prometteuses sont toutefois présentées en conclusion.

  1. La transparence et la mesurabilité de l’action de l’Etat doivent encore être améliorées. A bien des égards, les statistiques actuelles ne reflètent que partiellement l’empreinte étatique.
  2. La concurrence politique doit être renforcée afin de trouver des solutions innovantes. Cela implique le maintien et le renforcement de la démocratie directe et du fédéralisme. Parallèlement, les procédures de consultation actuelles, les analyses d’impact de la réglementation interne à la Confédération et les contrôles de surveillance pourraient bénéficier d’un plus grand nombre d’éléments concurrentiels. Les économistes Reiner Eichenberger et Mark Schelker proposent à cet effet la création de commissions de contre-projets élues par le peuple.
  3. Les gains d’efficacité liés à la numérisation ne sont que partiellement réalisés en Suisse. Souvent, la croissance de l’administration est justifiée par la transition numérique, et le fédéralisme considéré comme un frein à cette transition. Mais lorsqu’on les analyse de plus près, ces deux arguments ne tiennent pas la route.
  4. Il faut un débat de société fondé sur les tâches que l’Etat doit assumer et sous quelle forme. La condition préalable sont la transparence et la mesurabilité mentionnées précédemment. En tant que citoyennes et citoyens, nous ne sommes pas toujours conscients que la bureaucratie est le revers de la médaille de la mentalité de « casco complète » qui est parfois exigée. Il convient également de veiller à ce que l’Etat intervienne de manière peu invasive, même si cette intervention est souhaitée par la société. Les exemples ne manquent pas: échange de certificats de CO2 au lieu de subventions et d’interdictions, bons de garde au lieu de crèches publiques, financement du sujet au lieu de l’objet dans le système de santé également. Le maintien de mécanismes concurrentiels réduit le risque de bureaucratie et favorise une action publique en accord avec les préférences des citoyennes et citoyens.

Dr. Marco Portmann

dirige le domaine des conditions-cadres politiques à l’Institut de politique économique suisse (IWP) de l’Université de Lucerne. Après des études d’économie politique à l’Université de Fribourg, il a enseigné dans le domaine de l’économie politique et a travaillé auprès de l’Administration fédérale des contributions ainsi que chez Agroscope.

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