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Prioriser les prestations dans l’assurance de base et économiser?

En 1992, la Suède a donné un nouveau cap à son système de santé. A l’époque, une commission parlementaire avait été mise sur pied. Sa mission: prioriser les prestations médicales.

Roland Hügi, conseiller en communication et ancien rédacteur en chef de "place au dialogue"

23. mai 2018

Tout pour tout le monde, et si possible encore un peu plus. Telle est la description que l’on pourrait faire du système de santé suisse, en étant un peu hérétique. Les chiffres qui en résultent parlent d’eux-mêmes: les coûts du système global de santé augmentent par tranches de milliards toujours plus grandes et ont atteint CHF 77,8 milliards en 2015. Aucun renversement de tendance n’est en vue jusqu’à nouvel ordre. Le principe de la solidarité est peu à peu remis en cause, ce qui est une évidence.

Comment freiner les coûts?

Le modèle suédois

Au cours de ces 25 dernières années, la Suède a démontré qu’elle avait peut-être trouvé une solution. En 1980, des considérations financières l’avaient incitée à instituer une commission parlementaire: cette année-là, ses dépenses de santé avaient atteint le plus haut niveau jamais enregistré de 9,1% du PIB. «Sa mission était d’examiner une approche systématique de priorisation en matière de santé, et de l’introduire le cas échéant», affirme Heiner Raspe*. Dans le cadre d’un projet de recherche de l’Université de Lübeck, ce dernier a observé à la loupe le modèle suédois avec d’autres chercheurs. «Notre objectif était entre autres de voir si l’approche était transposable à d’autres pays, notamment l’Allemagne, et de lancer le débat sur le thème de la priorisation.» En ce qui concerne l’Allemagne tout au moins, ce projet s’est soldé par un échec.

Les trois principes éthiques

En Suède, l’idée de la priorisation a pu être mise en œuvre peu à peu à partir de 1995. Les trois principes éthiques qui sous-tendent au final les prestations médicales constituent son point de départ essentiel. En premier lieu, il y a le principe de la dignité humaine. Il exclut explicitement que des prestations soient associées à des caractéristiques personnelles ou des fonctions dans la société. Il s’agit donc d’une interdiction de discrimination. Le principe du besoin et de la solidarité implique que les moyens disponibles parviennent aux personnes en ayant le plus grand besoin, en tenant notamment compte des enfants, des personnes atteintes de démence, des patients dans le coma, par exemple. En troisième lieu vient le principe de l’efficacité des coûts. Il vise un rapport adéquat entre le coût et le bénéfice d’un traitement. «Ces trois principes sont au cœur du système et permettent de prioriser les prestations», explique H. Raspe.

Une grande acceptation

Sur la base de ces principes, des directives de priorisation concrètes ont été développées pour certaines pathologies au cours de ces dernières années. «Néanmoins, ce ne sont pas les prestations individuelles qui sont priorisées, mais plutôt les associations par rapport à une situation médicale et à une intervention médicale adéquate», précise H. Raspe. «Au final, des listes sont dressées, qui attribuent une priorité entre 1 (élevée) et 10 (faible) à ces associations entre problème et prestation.» En Suède, cela n’a pas provoqué un tollé dans la population. Selon H. Raspe, cela s’explique d’une part par le fait que les gens ont été impliqués dès le début dans tout le processus, par exemple dans le cadre d’enquêtes ou de conférences. «D’autre part, le principe de la solidarité commune y est ancré plus profondément dans l’esprit de la population que dans la plupart des autres pays.»

Aucun intérêt suscité en Allemagne

Malgré les résultats complets de l’étude du groupe de recherche autour de H. Raspe, les milieux concernés n’ont fait et ne font preuve d’aucun intérêt pour une introduction d’un modèle de priorisation en Allemagne. Les chercheurs ont pourtant présenté l’approche systématique et ses avantages à la Bundesärztekammer (Chambre des médecins). Mais le processus a achoppé avant même d’avoir vraiment démarré. «Et actuellement, le sujet a été enterré», concède H. Raspe avec un certain réalisme. «J’en prends maintenant acte avec frustration mais sérénité.» L’essentiel est que la population ait compris que la priorisation n’a rien à voir avec le rationnement. «Le système suédois se contente de donner des directives, qui n’entraînent pas de sanctions, contrairement aux prescriptions», affirme H. Raspe.

Quels enseignements pouvons-nous en tirer?

Selon H. Raspe, l’implication de toutes les parties prenantes, de la population aux responsables politiques en passant par les fournisseurs de prestations, est un facteur de succès fondamental. «De plus, il est impératif» que les initiatives en faveur d’une priorisation soient prises au niveau politique. Tout le reste est voué à l’échec. Si des propositions étaient faites du côté médical, quel qu’il soit, cela déboucherait plutôt sur un débat envieux plutôt que sur des échanges raisonnables. Il suit aussi avec un certain scepticisme la campagne «smarter medicine» lancée en Suisse (cf. place au dialogue 1/2017). Cette dernière est soutenue par des organisations médicales spécialisées et des organisations de patients et remet en question certains traitements médicaux.

*De 1989 jusqu’à sa retraite en 2010, Heiner Raspe, docteur en médecine humaine et sociologue, dirigeait l’Institut pour Sozialmedizin de la Faculté de médecine de Lübeck. Il y a ensuite été titulaire d’une chaire de professeur senior en médecine de la population jusqu’en 2015. H. Raspe est le cofondateur et le président fondateur du réseau allemand de médecine fondée sur les données probantes.

Roland Hügi

est conseiller en communication et ancien rédacteur en chef de « place au dialogue »

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