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Personne ne veut prendre ses responsabilités

L’examen de cas particuliers permet aux assureurs-maladie, conformément aux art. 71a à 71d OAMal, de rembourser individuellement des médicaments souvent très coûteux. Le risque est néanmoins de réduire des vies humaines à des aspects purement financiers.

Alfred Wiesbauer, membre du comité de ProRaris et père d’une fille atteinte d’une maladie rare

9. octobre 2019

L’ordonnance sur l’assurance-maladie intéresse peu de monde, et ses articles 71 encore moins. Il y a quelques années encore, c’était également le cas de notre famille, comme sûrement de la plupart des gens en Suisse.

Prise en charge de médicaments dans des cas particuliers

Quand un diagnostic de maladie très rare a été posé chez notre fille, elle a d’abord suivi uniquement un traitement palliatif, et un long combat a commencé avec les conséquences du traitement de première instance inefficace. Quand un traitement expérimental de substitution enzymatique a été disponible après quelque temps, elle a pu y participer à Mayence. Vu que le fabricant prenait en charge la plupart des coûts dans un premier temps, nous n’avons pas pris conscience des conséquences possibles à ce moment-là. Vers la fin de l’étude, nous avons été retransférés de Mayence à l’hôpital pédiatrique de Zurich.

Les limites de la réglementation

A Zurich, nous avons réalisé pour la première fois que le médicament avait été autorisé avec un retard de deux ans, ce qui est typique pour la Suisse, mais qu’il n’avait pas encore été admis dans la liste des spécialités, malgré la procédure d’autorisation accélérée (fast-track-option). Chaque fois que je posais des questions, tout le monde se rejetait la responsabilité. Puisqu’il s’agissait d’une patiente isolée, les art. 71a à 71d OAMal devaient donc servir de justification pour le financement du traitement de notre fille.

La plupart des cas pour lesquels il faut recourir à ces articles ont des causes oncologiques. Ils représentent dans des proportions de plus en plus importantes des maladies rares, voire très rares, pour lesquelles il n’existe aucun produit thérapeutique autorisé en Suisse. Alors que l’admission sur la liste des spécialités relève de la responsabilité de l’OFSP, il appartient surtout aux assureurs-maladie d’examiner les cas particuliers. C’est un moyen de mieux cerner la situation individuelle du patient. Cette procédure débouche néanmoins sur des décisions différentes pour la même maladie, même parfois au sein d’une même famille si les personnes concernées ont des assureurs différents. Les assureurs-maladie n’ont sûrement pas des compétences spécialisées, médicales et pharmacologiques supérieures à l’OFSP. Pourtant, dans le cas particulier, il faut encore tenir compte de tout le contexte pour mettre en relation le «grand bénéfice thérapeutique» exigé avec le «caractère économique». Et cela, l’assurance sait très bien le faire en tenant compte de la situation individuelle du patient.

Stop à l’approche financière!

Je me souviens encore des paroles prononcées par le professeur de l’hôpital pédiatrique de Zurich: «Peut-être que votre fille vivra jusqu’à 15 ans, du moins nous l’espérons.» Alors qu’il existe de nombreuses poudres contre le mal de tête, le traitement de substitution enzymatique reste dans un proche avenir le seul moyen de soigner la maladie de ma fille. Même si son handicap physique reste lourd, elle a déjà soufflé ses 20 bougies et est en pleine forme intellectuellement. Donc la question essentielle est: combien peut coûter cette vie? Mais aussi: qu’apporte la vie de ma fille? A nous sa famille? A la société? A l’Etat? Il convient ici de se défaire de l’approche purement financière pour passer à une vision globale. Les évaluations Health Technology Assessment (HTA) sont déjà un progrès, mais la différence de ma fille ne peut-elle pas avoir des effets tout à fait positifs, qui pourtant ne sont représentés nulle part? Avec son état d’esprit positif face à la vie, elle est une porte-parole de la tolérance, de l’intégration et de l’inclusion. Quel peut en être le prix? Et quelle en est l’utilité pour notre société? Des idées qui vont bien au-delà des art. 71a à 71d OAMal.

Alfred Wiesbauer

Le Dr Alfred Wiesbauer, médecin dentiste, est membre du comité de ProRaris et père d’une fille atteinte d’une maladie rare, la mucopolysaccharidose de type IVa.

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