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«La LAMal a besoin d’une petite révolution»

Notre système est beaucoup trop axé sur la maladie et trop peu sur la santé. Karin Faisst, médecin spécialisée en médecine préventive (SG), et Oliver Senn, médecin de famille (ZH), sont d’accord sur ce point. Tous deux ont des idées concrètes pour miser davantage sur la prévention.

Karin Faisst, travaille comme médecin cantonale spécialisée en médecine préventive et dirige l’Office de prévention en matière de santé du canton de Saint-Gall.

Prof. Oliver Senn, spécialiste en médecine interne générale et directeur adjoint de l’Institut de médecine de famille de l’Université de Zurich

Sonja Hasler, Journaliste et présentatrice

20. juin 2023

Vous travaillez tous les deux comme médecins dans le domaine de la prévention. Que faites-vous personnellement pour vous maintenir en bonne santé?
Karin Faisst: On me pose souvent cette question. Est-ce qu’on demande aussi au curé quand il a prié pour la dernière fois? Blague à part: je m’occupe bien évidemment de ma santé. J’ai récemment décidé de me mettre au jonglage. J’aimerais arriver à jongler avec quatre balles d’ici l’été. Cela développe la coordination et contribue à l’équilibre mental.
Oliver Senn: On ne me pose pas cette question aussi souvent qu’à toi, Karin. Je fais du sport, je ne fume pas et j’entretiens des contacts sociaux.

Pensez-vous que le débat politique porte trop sur les maladies et sur «comment réparer» alors qu’il faudrait davantage aider les gens à améliorer leur santé?
Karin Faisst: Nous parlons beaucoup de santé alors qu’en réalité, il est question de maladie. Il s’agit d’un problème fondamental. Notre système est clairement axé sur la maladie. Le financement du système de santé et la lutte contre la pénurie de médecins sont des thématiques beaucoup plus courantes que le renforcement du bien-être et de la santé.

L’espérance de vie en Suisse avoisine les 84 ans, ce qui est supérieur à la moyenne de l’OCDE (81 ans). Peut-on en déduire que tout va bien?
Karin Faisst: Il y a eu des avancées, c’est certain. Néanmoins, les coûts de la santé ont pris l’ascenseur ces dernières années et ils continuent de grimper. L’objectif est de rester en aussi bonne santé que possible jusqu’à un âge avancé.
Oliver Senn: Je suis d’accord. Ce qui est intéressant dans cette discussion, c’est que personne ne prend position contre la prévention ni contre la médecine de famille. Si des candidates et candidats tenaient un tel discours, personne ne voterait pour eux. Mais lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre concrètement des mesures préventives, d’entrer dans le vif du sujet, on dépasse rarement le stade des belles paroles.

«Je trouve fâcheux que dans la LAMal, les prestations préventives doivent être dispensées par des médecins.»

Karin Faisst

Pourquoi donc?
Karin Faisst: En Suisse, le discours dominant veut que tout un chacun soit responsable de lui-même et de sa santé. En tant que spécialiste de médecine préventive, je dois constamment me justifier. Mon travail consiste certes à protéger et à promouvoir la santé de la population du canton de Saint-Gall. Je remarque toutefois qu’on me perçoit initialement comme une policière de la santé qui vient interdire aux gens de boire un verre de vin et de manger de la saucisse. Je ne suis pas là pour interdire quoi que ce soit. Je veux surtout permettre aux gens de faire des choix sains au quotidien, je veux faciliter l’accès pour toutes et tous aux prestations préventives, notamment par le biais des examens médicaux à l’école. C’est ce que je dois toujours expliquer.
Oliver Senn: C’est exactement le débat qui a eu lieu en 2012, lorsque la loi sur la prévention a échoué. Les défenseurs de la responsabilité individuelle ont tenté de réduire la prévention à la notion d’interdiction. Mais une telle polarisation ne nous fait pas avancer.

Où se situe la Suisse en matière de prévention aujourd’hui? En 2019, nous avons investi 2,2% des dépenses de santé dans la promotion de la santé et la prévention, soit moins que la moyenne des pays de l’OCDE. La Suisse se compare-t-elle à un pays en développement à cet égard?
Karin Faisst: Il nous reste en effet une belle marge de progression. En matière de tabagisme, par exemple, nous occupons l’avant-dernière place en comparaison européenne. On pourrait faire plus en interdisant la publicité, en augmentant les taxes ou en rendant l’accès à la cigarette électronique plus difficile pour les jeunes.
Oliver Senn: Oui, le taux de tabagisme de nos jeunes est préoccupant. Le tabac est un excellent exemple de ce qu’il est possible d’accomplir avec la prévention. Aujourd’hui, plus personne ne s’oppose à la protection contre le tabagisme passif dans les restaurants et les trains. Cela a pourtant fait l’objet d’un énorme débat dans le passé. Les statistiques montrent clairement une évolution favorable des taux de morbidité et de mortalité cardio-vasculaires. La prévention ne fait donc pas mal, bien au contraire.
Karin Faisst: Le port obligatoire de la ceinture de sécurité en voiture est également un bon exemple. Il y a eu une forte opposition à l’époque, mais tout le monde s’accorde aujourd’hui à dire que cette mesure permet de sauver de nombreuses vies sans faire de mal. Les prescriptions légales ne sont toutefois pas l’objectif premier de la prévention.

«La prévention est particulièrement utile lorsque le risque est élevé, c’est-à-dire dans les couches sociales défavorisées.»

Oliver Senn

Monsieur Senn, il est écrit dans le présent magazine que la prévention demeure l’exception dans la loi sur l’assurance-maladie (LAMal). Comment le remarquez-vous dans votre pratique au quotidien?
Oliver Senn: En fait, en médecine de famille, la prévention est toujours encouragée. Les gens viennent au cabinet de leur plein gré et sont motivés à améliorer leur santé. Mais le système actuel est conçu pour soigner les maladies et la LAMal fait une distinction académique entre la prévention primaire, secondaire et tertiaire. Pour moi, cependant, lorsque je conseille une personne qui fume, le fait qu’elle ne présente aucun symptôme, tousse ou ait déjà eu un infarctus du myocarde ne joue aucun rôle. Cette distinction ne tient pas la route, et au moment de facturer les prestations, on en vient à se renvoyer constamment la responsabilité. Je trouve également choquant qu’une personne ait à payer un check-up préventif chez son médecin de famille avec sa franchise. Cela démontre l’importance que l’on accorde aujourd’hui à la prévention. Pourtant, nous pourrions facilement détecter les risques pour la santé avec des moyens simples, comme la mesure de la tension artérielle, quelques examens sanguins et un entretien médical. Il existe d’ailleurs des preuves scientifiques en faveur de ces mesures.
Karin Faisst: Je trouve fâcheux que dans la LAMal actuelle, les prestations préventives doivent être dispensées par des médecins. Par exemple, pour la prévention des chutes, le personnel des cabinets médicaux pourrait aussi faire une première évaluation. Il serait possible de faire beaucoup plus, mais en matière de prévention, il manque de tout: les procédures, les possibilités de facturation, la coordination avec d’autres fournisseurs de prestations, sans oublier l’argent.
Oliver Senn: Oui, il est tout simplement absurde que la LAMal dispose que la prévention doit être assurée par des prestataires médicaux. Les assistantes et assistants au cabinet médical et autre personnel non médical sont suffisamment qualifiés pour évaluer s’il existe un risque de chute ou non. Il n’est pas nécessaire de faire appel au personnel médical pour cela.

Qu’en est-il des personnes qui ne consultent jamais leur médecin de famille?
Karin Faisst: C’est un problème. En matière de prévention, ce sont justement ces personnes qui nous intéressent. Par exemple, une personne de 40 ans qui n’a pas de problème particulier mais qui devrait se préoccuper davantage de sa santé. Ou une immigrante qui n’a pas de médecin de famille et qui, de ce fait, est difficile à joindre.
Oliver Senn: C’est là qu’interviennent les inégalités sociales. La prévention est particulièrement utile lorsque le risque est élevé, c’est-à-dire dans les couches sociales défavorisées. En tant que médecin de famille, je n’ai pas accès d’emblée à cette patientèle. C’est là que la politique sociale et la politique de l’éducation devraient intervenir, dans le but de réduire les inégalités sociales. La prévention doit être pensée de manière globale, ce qui est encore trop peu le cas aujourd’hui.

L’utilité des mesures de prévention est souvent remise en question dans le débat politique. Cela vous agace-t-il?
Karin Faisst: A quoi ressemblerait le monde si nous ne faisions rien? N’oublions pas que le marché extérieur essaie d’attirer le plus de clientes et de clients possible. L’industrie alimentaire connaît notre penchant pour le sucre et ne s’en prive pas. L’industrie du tabac cherche à nous séduire avec de la publicité. La prévention doit mettre le holà dans de tels cas. Il existe, par ailleurs, de bons exemples d’efficacité. Je pense notamment aux mesures prises dans les jardins d’enfants et les écoles, qui ont permis de réduire le surpoids des enfants scolarisés en ville. Ou à la campagne «Comment vas-tu?», chapeautée par Promotion Santé Suisse, qui a introduit le thème de la santé psychique dans la discussion et motivé la société à rechercher des solutions. Contrairement aux médicaments, la prévention se vit au quotidien, ce qui la rend plus difficile à mesurer.
Oliver Senn: Nous avons également eu beaucoup de succès dans la prévention du VIH et nous sommes une référence en ce qui concerne la réduction de la consommation de drogues. Il est dommage que la protection de la santé dans la prévention primaire se limite à des campagnes et des affiches. Il y a beaucoup plus à faire en matière d’accompagnement et de coordination pour que les gens puissent vraiment changer leur comportement.

Interview: Sonja Hasler; photos: Dominic Steinmann

Si on vous donnait carte blanche, que feriez-vous concrètement pour la prévention?
Oliver Senn: Comme je l’ai dit, je commencerais par la LAMal. Dans ma pratique au cabinet, la distinction entre prévention primaire, secondaire et tertiaire n’a tout simplement aucun sens. Et si une personne vient me consulter pour un check-up, elle devrait être exemptée de la franchise. Cela permettrait aussi de réduire les inégalités sociales.
Karin Faisst: J’ai beaucoup d’idées! Moi aussi, je remettrais la LAMal au goût du jour. La loi met l’accent sur la maladie et non sur la prévention. Il faudrait une petite révolution, une nouvelle façon de penser, pour s’éloigner du piège de la maladie. Je pense qu’il faudrait aussi procéder à des changements structurels. Pour moi, il est tout à fait clair que les vaccins, comme celui contre la rougeole, devraient être exemptés de la quote-part. Cela enverrait le signal qu’il est important de se faire vacciner et que c’est bien sûr gratuit. Il faudrait investir davantage dans la formation …
Oliver Senn: … et supprimer les œillères. Actuellement, les approches sont très fragmentées, alors qu’il faudrait une approche globale. La prévention en matière de santé est à la fois une question de politique éducative, d’écologie, d’économie et même d’aménagement du territoire. Un architecte devrait automatiquement avoir l’idée de planter des arbres dans l’Europaallee à Zurich afin d’éviter que l’allée n’atteigne 40 degrés en été. Les arbres sont bénéfiques pour la santé, ce qui réduit également le coût des prestations.

Philomena Colatrella, CEO de la CSS, a écrit dans ce numéro qu’elle souhaitait voir les assureurs-maladie jouer un rôle plus actif dans la prévention. Que pouvez-vous dire à ce sujet?
Karin Faisst: En principe, les caisses-maladie ont déjà la possibilité d’exercer une influence sur la santé dans l’assurance complémentaire, par exemple avec des abonnements de fitness. Je souhaiterais qu’elles s’engagent aussi davantage dans l’assurance de base. Je dois dire que je trouve souvent que les assureurs sont durs dans les discussions sur les mesures de prévention. Par exemple, lorsqu’il a été question de faire passer les vaccins scolaires de 12 à 14 francs. Au début, ils ont tout simplement refusé, puis les négociations ont été difficiles. Avant de créer de nouvelles offres, les assureurs devraient mieux utiliser la marge de manœuvre actuelle.
Oliver Senn: C’est un bon exemple. Nous avons un taux de vaccination contre les papillomavirus humains (HPV) très faible, en particulier chez les garçons adolescents. Ce vaccin est pourtant très efficace contre les cancers gynécologiques. Le remboursement se heurte à des obstacles administratifs inutiles, alors que les assureurs pourraient simplifier le processus. Il serait souhaitable que les assureurs s’engagent davantage dans la prévention, notamment pour les personnes qui présentent le risque le plus élevé et qui n’ont généralement pas d’assurance complémentaire.

Karin Faisst

est diplômée en médecine humaine et experte en santé publique. Elle travaille depuis 2015 comme médecin cantonale spécialisée en médecine préventive. Elle dirige en outre l’Office de prévention en matière de santé du canton de Saint-Gall.

Prof. Oliver Senn

est spécialiste en médecine interne générale et directeur adjoint de l’Institut de médecine de famille de l’Université de Zurich. Il travaille trois demi-journées par semaine dans un cabinet de groupe à Zurich.

Sonja Hasler

est journaliste à la radio SRF et présente notamment l’émission de discussion «Persönlich». Elle a présenté les émissions «Rundschau» et «Arena» à la télévision suisse alémanique jusqu’en 2015.

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