Laurence Fehlmann Rielle et Andreas Glarner

Pour
De nos jours, les principaux problèmes de santé publique sont les maladies non transmissibles (maladies cardio-vasculaires, maladies respiratoires, cancers, diabète, maladies musculo-squelettiques), qui sont responsables en Suisse de plus de 50% des décès et de 80% des coûts de la santé. Et cela, sans compter les douleurs chroniques et la baisse de la qualité de vie.
Prévention: autant d’acteurs que d’objectifs
Dans la LAMal, la prévention demeure l’exception. Les compétences et les moyens sont-ils bien répartis?

On dépense toujours plus dans les services de santé alors que ceux-ci, bien qu’indispensables, n’interviennent qu’à hauteur de 10% à 15% dans l’amélioration de la santé de la population. Si l’on investissait plus de ressources pour modifier les habitudes et les conditions de vie de la population, on réaliserait des économies substantielles tout en évitant des souffrances et des décès prématurés. C’est le sens de la stratégie de lutte contre les maladies non transmissibles de la Confédération. Une mise en œuvre plus efficace des mesures préconisées en matière d’éducation à des comportements plus sains exigerait des ressources supplémentaires.
Malgré l’adage «mieux vaut prévenir que guérir», les politiques deviennent très frileux quand il s’agit de passer aux actes. En effet, la promotion de la santé et la prévention se déploient sur le moyen et long terme, alors que la société exige des résultats immédiats.

«Il s’agit de réguler le marché, de limiter le marketing débridé afin de protéger les jeunes générations.»
Laurence Fehlmann Rielle
De plus, les lobbies de l’industrie agro-alimentaire, notamment du sucre, du tabac et des boissons alcoolisées, ont formé une coalition destinée à contrer toute tentative de mettre en place des mesures structurelles et des incitatifs favorables à la santé. Contrairement à ce que certains veulent faire croire, il ne s’agit pas de tout interdire, mais de réguler le marché, de limiter le marketing débridé afin de protéger les jeunes générations. Concernant l’alimentation, il faut aussi renforcer l’information facilement accessible pour la population avec le dispositif du Nutri-Score.
D’après l’OCDE, la Suisse n’investit pas suffisamment dans la prévention, avec 2,2% seulement des dépenses de santé alloués aux programmes de prévention. La LAMal, par son art. 19, nous fournit la possibilité d’augmenter les moyens dédiés à la promotion de la santé.
Il serait temps d’écouter les personnes expertes en santé publique afin de mettre en place des politiques de santé cohérentes. La Suisse n’est pas un îlot imperméable à ce qui vient de l’extérieur. Ce qui fonctionne dans d’autres pays peut également avoir un impact positif chez nous.
La population est de plus en plus favorable à un rééquilibrage des moyens. Le Parlement va-t-il encore longtemps rester à la traîne?
Contre
D’entrée de jeu, je tiens à préciser que j’accorde aussi une grande importance à la prévention. La seule question qu’il faille se poser est: qui doit s’en occuper? Je suis persuadé que nous ferions fausse route en incluant davantage de prévention dans la LAMal. Les personnes qui payent les primes versent déjà une taxe obligatoire à Promotion Santé Suisse, mais cette fondation ne semble pas utiliser les fonds de manière très ciblée et brille surtout par ses frais administratifs élevés.
La prévention doit commencer à la maison et être approfondie à l’école. Il faut apprendre à chaque enfant, à chaque élève, en fonction de son niveau, quelles sont les conséquences d’un mode de vie malsain. Les corrélations directes entre la consommation excessive de sucre et le diabète, entre le manque d’activité physique, la mauvaise alimentation et le surpoids, l’obésité ou les maladies cardiaques, etc. doivent être mises en évidence afin d’inculquer des habitudes de vie saines.

«La responsabilité individuelle est de mise. Les assureurs-maladie devraient pouvoir adapter leurs primes aux comportements à risque.»
Andreas Glarner
Il ne faut cependant pas tomber dans le sectarisme, notamment en donnant la parole à des adeptes de sectes climatiques ou à des militants véganes. Il faut privilégier les incitations aux interdictions. En général, les enfants qui grandissent à la ferme font suffisamment d’exercice. Les mettre en garde contre les risques associés aux aliments gras et à la viande n’a aucun sens. En revanche, il peut être judicieux de motiver un enfant issu d’un milieu urbain à bouger et jouer davantage à l’extérieur. La meilleure prévention demeure l’engagement des parents, lorsque ceux-ci s’occupent de leurs enfants plutôt que de les laisser livrés à eux-mêmes. Eriger des barrages dans un ruisseau, faire griller des saucisses et construire une cabane en forêt sont la meilleure des préventions, y compris sur le plan psychologique!
Par ailleurs, je dois dire que l’Etat n’est pas très crédible dans son rôle de promoteur de la santé. Il encourage la production du tabac tout en luttant contre sa consommation. Il en va de même pour le sucre. La culture de la betterave sucrière est subventionnée, et les sucreries sont maintenues en vie artificiellement. En même temps, l’Etat lutte contre le sucre dans les aliments et les boissons.
La responsabilité individuelle est de mise. Les assureurs-maladie devraient pouvoir adapter leurs primes aux comportements à risque. Nous faisons déjà la même chose avec les assurances responsabilité civile pour la voiture. Je ne réclame pas une taxe sur les produits riches en matières grasses, mais bien une récompense pour les bons comportements. A l’avenir, c’est la santé et non la maladie qui doit être récompensée. Nous devons repenser notre système de santé, sans toutefois devenir un Etat-nounou!