Distorsions importées

Par rapport aux pays voisins, la Suisse possède une population relativement jeune. Pourtant, elle fait partie du peloton de tête dans le classement mondial de l’OCDE des dépenses de santé par habitant/e en proportion du PIB. L’un des postes de dépenses les plus discutés est celui des médicaments, qui représentent 10,6% des dépenses de santé, soit 8,5 milliards de francs par année. Ces dépenses peuvent néanmoins se justifier si elles correspondent aux attentes de la population suisse.
Limiter le catalogue des prestations: mais comment?
Le catalogue des prestations actuel est-il encore conforme aux règles définies initialement? Faut-il introduire des limitations et, si oui, sous quelle forme?

Règles relatives au remboursement en Suisse
A la demande du fabricant, les médicaments sûrs, efficaces et de haute qualité sont examinés et autorisés par Swissmedic. Une autorisation ne signifie toutefois pas qu’ils seront remboursés par l’assurance-maladie obligatoire. Le fabricant doit en faire la demande auprès de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), qui examine la documentation correspondante et sollicite une recommandation auprès de la Commission fédérale des médicaments (CFM). La procédure s’achève sur une décision de l’OFSP concernant l’admission dans la liste des spécialités (LS), qui dresse l’inventaire de tous les médicaments remboursables avec des plafonds de prix. Les critères d’admission principaux sont l’efficacité, l’adéquation et l’économicité (critères dits EAE). Lors de l’admission dans la liste, un prix maximal est défini sur la base de prix comparatifs internationaux et thérapeutiques. Le prix maximal dépend de la comparaison des prix pratiqués à l’étranger (CPE) et de la comparaison thérapeutique (CT). S’agissant de la CPE, l’OFSP se réfère aux prix de fabrique pratiqués en Allemagne, en Autriche, en Belgique, au Danemark, en Finlande, en France, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas et en Suède. La CT se fonde sur les prix de fabrique nationaux des médicaments présentant une utilité thérapeutique comparable. Les prix résultant de la CPE et de la CT sont pris en considération de manière équivalente dans le calcul du prix maximal indiqué dans la LS.
«L’approche CPE / CT ne reflète pas les priorités spécifiques au système de santé suisse.»
Jean Pierre Uwitonze
Une perspective internationale
Si les comparaisons de prix présentent des avantages, de nombreux pays disposant de systèmes de santé avancés ne s’y fient plus pour les nouveaux médicaments innovants. En effet, on constate à l’échelle mondiale une opacité accrue dans la fixation des prix en raison des rabais très divers conclus à titre officieux. Les fabricants ont par ailleurs adapté leurs stratégies commerciales pour utiliser la comparaison des prix à leur avantage. Dans ce contexte, des pays tels que la Grande-Bretagne et l’Allemagne ont mis au point leurs propres méthodes d’évaluation des médicaments et de fixation des prix. Les prix ainsi définis sont donc le reflet des priorités de la population nationale.
Depuis 1999, le rapport coûts-bénéfices estimé sur la base d’analyses coûts-efficacité est considéré comme prioritaire dans le système de santé britannique (NHS). A part pour certaines thérapies spécifiques, liées par exemple à des maladies rares, le NHS rembourse uniquement les traitements dont les coûts sont inférieurs à 20 000 à 30 000 livres par année de vie en bonne santé (QALY). En Allemagne, la loi de 2011 relative à la restructuration du marché pharmaceutique (AMNOG) est axée sur une évaluation précoce de la valeur ajoutée du traitement par rapport à d’autres formes de thérapie. L’Allemagne accorde la priorité à un accès direct et sans délai à des thérapies récentes et innovantes. La Grande-Bretagne et l’Allemagne ont donc intégré leurs priorités sociales dans leurs systèmes QALY et AMNOG, ce qui transparaît ensuite dans les résultats, autrement dit dans les prix fixés ou convenus.

Les réflexions menées par d’autres pays en matière de politique de la santé ont beaucoup de poids dans la définition du prix maximal en Suisse.
Bilan
La Suisse ne fixe pas ses propres priorités lorsqu’elle décide quels médicaments sont remboursés à quels prix, mais applique une méthode technocratique fondée sur la CPE et la CT. Par conséquent, le remboursement ne tient nullement compte de l’utilité du produit. Seules les priorités des neuf pays de référence sont prises en considération dans la fixation des prix. La Suisse importe ainsi des priorités qui ne sont pas les siennes. Même la CT ne contrebalance pas ce phénomène étant donné que les prix des produits comparés dans ce cadre sont initialement aussi fondés sur la CPE. Le législateur et l’administration ont opté pour une procédure simple et transparente pour le calcul des prix maximaux, qui simplifie la fixation des prix des produits complexes tels que les médicaments. Cependant, l’approche CPE / CT ne reflète pas les priorités spécifiques au système de santé suisse, qui devrait se caractériser par un bon accès à des prestations innovantes et abordables et répondre aux exigences de la population.
Sources
- Fischer, K. E., Heisser, T., & Stargardt, T. (2016). Health benefit assessment of pharmaceuticals: An international comparison of decisions from Germany, England, Scotland and Australia. Health Policy, 120(10), 1115-1122.
- Thokala, P., Ochalek, J., Leech, A. A., & Tong, T. (2018). Cost-effectiveness thresholds: the past, the present and the future. Pharmacoeconomics, 36, 509-522.
- Neue Arzneimittel: Zulassung, Nutzenbewertung, Erstattung (iqwig.de)
- Schweizerische Eidgenossenschaft (2017). Handbuch betreffend die Spezialitätenliste (Teil C). https://www.bag.admin.ch/dam/bag/de/dokumente/kuv-leistungen/bezeichnung-der-leistungen/antragsprozesse-arzneimittel/handbuch-betreffend-die-spezialitaetenliste-gueltig-ab-01.05.2017.pdf.download.pdf
- McCabe, C., Claxton, K., & Culyer, A. J. (2008). The NICE cost-effectiveness threshold: what it is and what that means. Pharmacoeconomics, 26, 733-744.
- Health expenditure per capita
- OECD (2024), Pharmaceutical spending (indicator). doi: 10.1787/998febf6-en
L’auteur remercie le prof. Rudolf Blankart pour sa collaboration.