Etude dans le système de santé: préférences sociales
Des sondages représentatifs montrent qu’une grande majorité des citoyens refuse le rationnement des prestations de santé. Dans le même temps, la volonté d’accepter des impôts élevés ou des cotisations obligatoires (en Suisse, primes élevées dans l’AOS) est manifestement limitée. Il en résulte un conflit d’objectifs, avec d’un côté le montant adéquat des dépenses globales pour le système de santé, et d’autre part la question des limites à fixer à l’intérieur de ce système.
Les préférences sociales dans le système de santé
Comment déterminons-nous ce que nous voulons que l’assurance obligatoire prenne en charge? Et comment faire pour utiliser des ressources limitées de manière équitable?
Amélioration de l’efficacité
C’est pourquoi de nombreux conseillers politiques, surtout issus de l’économie de la santé, recommandent de maximiser l’efficience de l’utilisation des fonds pour le système de santé et à l’intérieur de celui-ci. La revendication selon laquelle il faut éviter un gaspillage des ressources est triviale à première vue, et se résume à un impératif économique et moral évident. Elle devient toutefois précisément problématique lorsqu’une «allocation» (attribution) optimale dans le sens économique classique débouche certes sur une production maximale de l’utilité individuelle pour la santé (et dans ce sens, qu’il n’y a pas de gaspillage), mais que cette répartition reste sans effet pour la distribution de l’utilité entre différents groupes de personnes. Cela pourrait en effet avoir comme conséquence que certains (groupes de) patients seraient dans une large mesure exclus du résultat, voire dans l’impossibilité totale d’accéder à des thérapies efficaces parce que leur traitement «produirait» moins de santé supplémentaire.
Des exemples concrets de thérapies parfois très onéreuses dans le cas de maladies rares (p. ex. troubles du métabolisme innés chez des enfants entraînant des handicaps) ou de cancers graves montrent à quel point la problématique est sensible. En Angleterre par exemple, dans le cadre de l’évaluation des procédures médicales, un seuil de 20 000 à 30 000 livres par année de vie gagnée (moyennant un changement de la qualité de vie) est pris comme hypothèse pour la capacité de paiement maximale supposée. En conséquence, de nombreuses thérapies onéreuses pour des maladies rares et de nouveaux médicaments contre le cancer sont évalués négativement.
Alors que voulons-nous?
De nombreuses études internationales nous révèlent toutefois que des normes sociales et des jugements de valeur s’y opposent. Pour beaucoup de gens, il est particulièrement important de venir en aide aux personnes gravement malades, quitte peut-être à renoncer en contrepartie au remboursement des «bagatelles », même si de ce fait, la qualité de vie et la durée de vie ne peuvent pas être améliorées globalement quant à l’effet final. En d’autres termes, on est disposé à accepter globalement une plus petite part de gâteau si ce dernier est partagé de manière plus équitable. Les écarts observés par rapport à la théorie pure s’expliquent entre autres par le fait que quand il est question de vie ou de mort, les gens ne se comportent pas comme de simples opportunistes cherchant à maximiser leur utilité individuelle. Ils affichent plutôt des préférences sociales, et il n’y a aucune raison convaincante d’ignorer ces attentes de la population à l’égard de son système de santé.
L’étude SoPHI réalisée en Suisse
L’intégration systématique et cohérente des préférences sociales dans l’évaluation des mesures médicales présuppose que ces dernières supportent une vérification empirique et sont idéalement quantifiables. Cet objectif a été pris en compte dans la conception de l’étude «Social Preferences for Health Interventions», en bref l’étude SoPHI. En Suisse, cette étude a été rendue possible grâce au soutien paritaire des assureurs-maladie (curafutura, ASA) et de l’industrie (Galenica, Interpharma), dont les représentants avaient déjà joué un rôle actif prépondérant dans le projet SwissHTA.
Dans l’étude SoPHI, la méthode Discrete Choice Experiment (DCE) est appliquée pour déterminer la disposition sociale à payer des interventions médicales qui se distinguent d’après sept critères essentiels: espérance de vie et qualité de vie sans intervention (donc degré de gravité de la maladie), espérance de vie et qualité de vie après le traitement (la différence entre les deux donne l’efficacité du traitement), nombre de patients nécessitant un traitement (prévalence), âge des patients et coûts supplémentaires lors de l’admission du traitement dans le catalogue des prestations de l’assurance obligatoire des soins (AOS).
Parmi les caractéristiques spécifiques de l’étude SoPHI, les coûts sont représentés par personne assurée (et non par patient ou par année de vie gagnée). C’est pourquoi la disposition sociale à payer est mesurée dans celle-ci. Elle évalue d’une part l’utilité individuelle immédiatement centrée sur soi d’une intervention médicale. D’autre part, elle tient compte d’aspects tels que l’aversion au risque et l’altruisme. Ainsi, les préférences sociales des citoyens suisses peuvent au final être recensées. Les données d’un sondage représentatif de 1500 citoyens suisses se trouvent actuellement en phase d’évaluation. Les résultats montreront l’importance relative des attributs évalués. Il apparaît d’ores et déjà que pour la population suisse, d’autres critères sont importants, en plus de la durée de vie et de la qualité de vie gagnées individuellement. Il serait potentiellement important, en termes de politique de la santé, d’intégrer ces préférences sociales aux critères d’évaluation des interventions médicales.