«Nous devons avoir un impact éducatif»
Patrick Rohr (PR): Madame Züst, pour vous, en tant que représentante des patients, que signifie le terme «responsabiliser»?
Barbara Züst (BZ): Les mots «responsabiliser » et «réponse» ont la même étymologie. Ainsi, la responsabilisation nécessite des réponses. Pour pouvoir décider et agir de manière responsable, il faut disposer d’informations suffisantes.
La responsabilité individuelle dans le système de santé
Pourquoi la responsabilité individuelle est-elle aussi importante dans le système de santé? Quelles mesures visant à promouvoir la responsabilité individuelle sont-elles envisageables, et comment seraient-elles accueillies par la population?
PR: Sommes-nous bons en Suisse de ce point de vue? Les patients reçoivent-ils les informations dont ils ont besoin pour pouvoir décider?
BZ: Oui et non. En médecine, on observe une certaine asymétrie de l’information. Si je me fais soigner en tant qu’ancienne infirmière en anesthésie, je ne poserai pas du tout les mêmes questions qu’un patient sans connaissances médicales, pour qui un bon encadrement est essentiel. Quand je dépose ma voiture au garage, le garagiste peut me raconter beaucoup de choses…
PR: … et vous acquiescez à tout, parce que vous ne comprenez pas de quoi il retourne?
BZ: Oui, je n’ai pas le choix, car j’en sais trop peu! C’est pourquoi il faut disposer d’un certain soutien dans les domaines où l’asymétrie de l’information est importante.
PR: Et vous, Monsieur Burgherr, comment définissez-vous la responsabilité individuelle dans le domaine de la santé?
Thomas Burgherr (TB): La responsabilité individuelle commence dès lors que je réfléchis à la manière dont je peux me montrer bienveillant envers la communauté. Nous le savons tous, les coûts de la santé explosent. Et c’est à cause d’un certain état d’esprit: comme je suis assuré, je peux profiter de toutes les prestations.
«Je veux que l’on réfléchisse à deux fois avant d’aller chez le médecin pour un rhume ou une fièvre.»
Thomas Burgherr
PR: Et c’est bien l’idée d’une assurance, non?
TB: Oui, mais nous voyons où cela nous mène! C’est pourquoi nous devons bien réfléchir à ce qui a sa place dans le catalogue des prestations. Nous devons avoir un impact éducatif.
PR: Cela impliquerait de ne plus prendre en charge certaines prestations?
TB: Oui. Nous avons besoin d’un catalogue de base permettant à tout le monde de bénéficier de soins médicaux quand c’est nécessaire. Mais il faut aussi pouvoir fixer des limites.
PR: Et quelles doivent être ces limites?
TB: Quand quelqu’un veut embellir son regard parce que ses paupières tombent, ce n’est pas à la collectivité de payer.
BZ: C’est déjà le cas aujourd’hui: les prestations qui ne sont pas indiquées médicalement, p. ex. les interventions de chirurgie esthétique, ne peuvent être facturées via la LAMal. Et c’est tout à fait juste.
TB: Oui, mais si quelqu’un affirme que ses paupières lui occasionnent des problèmes psychiques, il peut obtenir une prise en charge de la caisse-maladie.
BZ: Vous savez aussi bien que moi que ce n’est pas aussi simple. Cela nécessite l’évaluation médicale d’un spécialiste.
PR: Donc je répète ma question, Monsieur Burgherr: où fixez-vous les limites?
TB: Il me paraît important que chaque assuré se fasse soigner quand il est malade. C’est le principe de base. Il ne doit pas risquer de garder des séquelles à cause de l’absence de traitement médical.
PR: En 2012, votre parti a cité l’exemple des «buveurs excessifs» dans une prise de position: quelqu’un qui doit consulter le médecin par sa propre faute doit en supporter lui-même le coût.
TB: Je partage cet avis.
PR: Mais alors, comment fixer la limite? Quelqu’un qui a un gros ventre en est-il fautif? Les fumeurs atteints du cancer du poumon en sont-ils responsables?
TB: Tout dépend de la cause du gros ventre. Si l’on parvient à prouver que la consommation d’alcool du patient est excessive, j’estime que l’on devrait pouvoir faire recours.
PR: Et qui devrait en apporter la preuve?
TB: Le médecin.
PR: Et quid du cancer des poumons et du tabac?
TB: Beaucoup de gens fument. Il est donc difficile d’affirmer que quelqu’un a attrapé un cancer parce qu’il a beaucoup fumé. Certains fument pendant soixante ans sans pour autant tomber malade.
«En Suisse, la solidarité est importante, et nous ne devrions pas la mettre en danger.»
Barbara Züst
PR: Et pour le gros ventre, c’est plus simple?
TB: Si la consommation d’alcool de quelqu’un est excessive, il est possible de le prouver.
PR: Et comment gérer le cas du manager qui fait un burn-out à cause d’un surcroît de travail? Peut-on aussi dire que dans une certaine mesure, c’est de sa faute?
TB: Le responsable qui travaille beaucoup assume de grandes responsabilités au sein d’une entreprise et, dans certaines situations, il peut arriver à tout le monde de présumer de ses forces. Le burn-out doit donc faire partie du catalogue.
BZ: Mais cela devient abracadabrantesque! Vous remarquez bien que ce n’est pas faisable. En Suisse, la solidarité est importante, et nous ne devrions pas la mettre en danger. Notre pays est riche, et cela me pose problème de pratiquer purement et simplement l’exclusion de certains groupes tels que celui des toxicomanes.
PR: Mais notre réel problème, c’est celui de l’augmentation démesurée des coûts.
BZ: Mais en contrepartie, nous profitons tout de même de notre système de santé, ce qui est fabuleux. Sans compter qu’aujourd’hui, de nombreux postes de dépenses ont beaucoup baissé: jamais électronique, voyages et alimentation n’avaient été aussi bon marché. Et en échange, nous pouvons nous permettre d’avoir un bon système de santé.
PR: Et nous pouvons y attacher de l’importance.
TB: Oui, en effet.
PR: Donc, cela ne vaut pas la peine de sacrifier la solidarité pour quelques économies?
TB: Dans tous les cas, c’est aussi aux spécialistes d’en juger.
PR: Vous avez vous-même fait une proposition relativement simple à mettre en oeuvre: dans une motion, vous demandez que l’on paie une taxe quand on se rend aux urgences ou dans un cabinet médical. Qu’en espérez-vous?
TB: J’en espère une sensibilisation de la population. Un médecin des urgences m’a confié que beaucoup de gens se rendaient à l’hôpital pour un petit mal de tête ou de ventre, et surtout des étrangers. Leur conception de la santé est différente de la nôtre. Ils n’ont pas la même densité médicale que nous. Donc ils vont directement l’hôpital. A l’hôpital cantonal de Baden, 40% des patients sollicitant les urgences sont des étrangers.
PR: Et 60% sont des Suisses. Et donc, vous voudriez qu’ils paient tous une taxe?
TB: Oui, mais j’ai prévu certaines exceptions. Pour les femmes enceintes et les enfants de moins de 16 ans par exemple. Ou si quelqu’un se présente sans moyens de paiement, ce qui m’est arrivé récemment, il doit être possible d’envoyer la facture après coup.
PR: Et vous pensez que cela aurait un effet dissuasif?
TB: Je veux que l’on réfléchisse à deux fois avant d’aller chez le médecin pour un rhume ou une fièvre. La taxe ne doit pas être trop élevée: je ne veux pas que quelqu’un évite d’aller aux urgences ou chez le médecin alors qu’il est vraiment malade. Le montant de 40 francs serait assez réaliste. Et si quelqu’un était dans l’impossibilité de payer, il pourrait néanmoins solliciter ce service.
BZ: A première vue, je peux comprendre cette idée. Les patients qui sollicitent les médecins pour des peccadilles sont vraiment énervants.
PR: Et certains pays ont déjà essayé, l’Allemagne par exemple…
BZ: Oui, puis elle a annulé la taxe parce que cela ne marchait pas. Poussons la réflexion plus loin: qui pouvons-nous inciter à changer de comportement? Probablement des gens issus de la migration, qui n’ont pas les moyens de payer cette taxe. Si simplement un dixième d’entre eux ne se rend pas chez le médecin alors qu’il aurait dû le faire, il encourt un risque important.
TB: Si le cas est sérieux, la personne ira tout de même aux urgences. Cela dissuadera peut-être ceux qui s’y rendent pour n’importe quel bobo.
BZ: Oui, mais ils sont une minorité. Et dans de nombreux cas, les gens ne
savent tout simplement pas s’ils doivent consulter ou non. En tant qu’infirmière anesthésiste ayant travaillé en salle d’opération pendant huit ans, il m’arrive même d’hésiter. Et c’est le cas de beaucoup de gens.
TB: Nous avons dû emmener deux fois aux urgences notre fille de 7 ans. Nous avons d’abord téléphoné à l’hôpital, et la médecin au bout du fil nous a dit que, compte tenu des symptômes, il fallait que nous venions. Si elle nous avait dit que nous pouvions soigner notre fille à la maison, nous l’aurions écoutée.
PR: Ce qui veut dire qu’aujourd’hui déjà, Monsieur Burgherr, ceux qui le veulent peuvent se montrer responsables. Entre autres par le choix de la franchise. Si j’opte pour le montant le plus élevé de 2500 francs, je fais déjà preuve d’une très grande responsabilité individuelle.
TB: On pourrait aussi augmenter la franchise à 4000 francs.
PR: Oui, mais la question est la suivante: ces possibilités existent déjà, alors pourquoi sont-elles insuffisantes?
BZ: Nous évoluons de toute façon dans la bonne direction. Dans votre canton, Monsieur Burgherr, un cabinet est disponible en amont des urgences. Si une personne souffrant d’un petit bobo s’y présente, une infirmière de pratique avancée l’intercepte. Cette dernière peut alors soigner elle-même la personne, lui évitant ainsi d’aller aux urgences. Ou citons encore l’association smarter medicine, au sein de laquelle des médecins et des sociétés de discipline médicale se regroupent et décident ensemble des interventions qui sont superflues dans leur spécialité. Il faut tout de même saluer tous ces efforts! Qui aurait pensé il y a encore dix ans qu’une telle chose serait possible. Les initiatives très positives ne manquent pas. Je trouve qu’il est préférable de les soutenir plutôt que de créer de nouvelles absurdités bureaucratiques.
TB: Comme vous le voyez, nous avons changé de façon de penser. Et pourquoi? Parce que nous avons discuté.
BZ: Et nous devons poursuivre le débat. Par exemple par le système des feux tricolores, qui indique aux consommateurs de manière simple si un aliment est bon pour la santé ou non.
TB: La composition d’un produit doit figurer sur son emballage. Mais je ne veux pas que l’Etat ait une influence subliminale sur ce que je dois acheter ou non.
BZ: Dans ce cas, l’industrie s’en chargera, mais d’une manière tellement compliquée que le consommateur ne pourra pas comprendre si le produit est sain ou non.
TB: En tant qu’acheteur, il m’importe simplement de savoir ce qu’il contient.
PR: Et cela vous suffit?
TB: Qui s’informe comprend. Je refuse que l’Etat me dicte ce que je dois acheter.
BZ: Et moi je refuse que l’industrie le fasse.
TB: L’industrie ne fait pourtant rien de nuisible.
PR: Mais sa priorité n’est pas notre santé.
TB: Nous devons décider nous-mêmes de ce que nous voulons boire et manger. L’eau-de-vie est en vente libre: je sais que si j’en bois un litre par jour, j’aurai des problèmes de santé. Il n’est pas nécessaire que l’Etat me le dise. Il faut faire confiance aux citoyens majeurs.
BZ: Même s’ils sont majeurs, ils ne pourront faire des choix éclairés que s’ils
disposent des informations nécessaires. Or, les renseignements en notre possession ne nous permettent pas toujours de prendre les bonnes décisions. Et pour moi, c’est là que la responsabilité de l’Etat est engagée. Son rôle est d’aider le partenaire contractuel le plus faible à accéder aux informations.
TB: Des informations, oui, mais sans influence.
Fotos: Markus Bertschi