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Pierre-Yves Maillard et Regine Sauter

Pouvons-nous continuer de financer à long terme la croissance de la branche de la santé par les cotisations sociales obligatoires?

Pierre-Yves Maillard, est conseiller national (PS, VD) et président de l’Union syndicale suisse.

Regine Sauter, directrice de la Chambre de commerce de Zurich et conseillère nationale (PLR, ZH)

19. février 2021

Pour

Par Pierre-Yves Maillard

Etant donné les défis démographiques auxquels nous faisons face, nous devons impérativement changer notre approche économique à l’égard du système de santé. Pendant trop longtemps, l’accès aux soins et les prestations destinées aux patients ont été considérés comme de purs facteurs de coûts pour la société.

Il est difficile de comprendre pourquoi l’achat d’une voiture à crédit serait un bon investissement et celui de prestations de santé – qui bénéficient d’un financement social – un mauvais.

C’est l’intensité de l’utilisation en peu de temps qui fait la différence. Celle-ci ne laisse pas de place au financement des prestations de santé directement de la poche du consommateur. Par conséquent, nous devons réviser le financement social par répartition, rendu possible par les assurances sociales, et le développer sur le plan intellectuel. Il nous faut également des solutions d’économies prescrites par la loi ou intelligemment subventionnées. En outre, nous devons redistribuer les moyens déjà investis dans le système de santé. La somme totale des coûts de la santé, dépassant les 80 milliards de francs, n’a pas du tout baissé malgré les mesures d’économie imposées au service public. Ce montant a plutôt été restructuré en faveur d’acteurs privés qui ne prennent pas en charge les prestations les plus onéreuses et ne sont pas tenus de payer pour les patients dont la santé et l’autonomie sont particulièrement touchées. La pénurie des soins médicaux de base et de l’offre en matière de lits en soins aigus a coïncidé avec l’explosion des dépenses et des bénéfices dans le domaine de la médecine ambulatoire spécialisée et dans celui des médicaments. Par ailleurs, les systèmes tarifaires actuels favorisent les diagnostics de pointe ainsi que les interventions chirurgicales électives. Les rémunérations exorbitantes tolérées par les assureurs privés renforcent cette tendance au sein des systèmes tarifaires LAMal.

«L’Etat doit modifier fondamentalement les systèmes tarifaires et les dispositions concernant le financement.»

Pierre-Yves Maillard

L’Etat doit donc modifier fondamentalement les systèmes tarifaires et les dispositions concernant le financement. Une partie des 80 milliards annuels doit être redirigée vers les prestations de santé les plus utiles pour la population et les plus demandées en raison du changement démographique et des besoins en matière de santé. C’est également nécessaire pour garantir que les tâches relatives à ces besoins soient attrayantes pour la population. Afin de financer le besoin en prestations de santé et pouvoir proposer à notre jeunesse des dizaines de milliers d’emplois utiles, il faut appliquer les principes de la planification, de la sécurité économique et du financement solidaire différé.

Le contexte actuel nous montre que les capacités en personnel soignant ne sont pas une charge mais une ressource permettant de surmonter les crises et de maintenir notre prospérité. 

Contre

Par Regine Sauter

Cette question en comporte en fait deux: pouvons-nous encore nous permettre la croissance de la branche de la santé, et le financement actuel des coûts reste-t-il approprié?

La hausse des coûts est un fait que nous constatons. Toutefois, nous disposons aussi de l’un des meilleurs systèmes de santé au monde: en Suisse, tout le monde a accès à toutes les prestations de haute qualité disponibles, partout et presque à tout moment.

Parallèlement, la branche de la santé offre des emplois, effectue des investissements et constitue un moteur pour l’innovation. Mais alors où est le problème, me demande-t-on souvent. C’est le financement de cette croissance qui est en fait un «problème».

Les primes d’assurance-maladie accablent le budget des ménages, en particulier celui des familles de la classe moyenne, et les dépenses grandissantes des pouvoirs publics pèsent sur les budgets communaux et cantonaux.

La question de savoir si nous finançons les bonnes choses et si nous le faisons correctement n’est pas une question abstraite. Au contraire, nous devons nous pencher dessus sérieusement. Premier élément de réponse: le Parlement fédéral s’attache actuellement à définir des mesures qui permettront de freiner la hausse continue des coûts de la santé. Ces mesures visent à supprimer les mauvaises incitations et les sources d’inefficacité ainsi qu’à remédier à la surabondance de l’offre. C’est une approche pertinente.

«C’est le financement de cette croissance qui est un problème.»

Regine Sauter

Deuxième élément de réponse: aujourd’hui, le financement repose sur les impôts, les assurances sociales et les primes des assurés. Le fait que la collectivité supporte de façon solidaire une part importante des coûts – les riches paient pour les pauvres, les jeunes pour les seniors – est un acquis majeur et totalement approprié pour un Etat prospère comme la Suisse. Cependant, cette solidarité ne doit pas être surexploitée. Les impôts garantissent déjà une redistribution considérable en raison de la progression. Il serait inadapté d’exonérer des groupes entiers de population de ces prélèvements, comme cela serait le cas dans un système exclusivement étatique ou – conformément aux idées de la gauche – financé sur la base du revenu.

Au contraire, il est juste que chacune et chacun contribue au financement par l’intermédiaire de sa propre prime d’assurance-maladie et de la participation aux coûts, et que cette prime soit identique pour tout le monde, indépendamment du revenu. Lorsqu’on ne voit pas la facture, on ne connaît pas le coût des choses. Et on ne s’inquiète pas de la hausse ou de la baisse de ces coûts. La contribution individuelle est importante pour se demander régulièrement si on finance les bonnes choses et, par conséquent, quel rapport on entretient avec le «bien de consommation» qu’est la santé. Si d’autres paient, on ne s’en préoccupe pas.

En résumé: nous ne pouvons et ne devons pas nous permettre la croissance évoquée. Il faut agir, et dans ce cas, le financement sera supportable aussi pour notre société.

Pierre-Yves Maillard

est conseiller national (PS, VD) et président de l’Union syndicale suisse. En tant que conseiller d’Etat vaudois, il était à la tête du Département de la santé et de l’action sociale entre 2004 et 2019.

Regine Sauter

est directrice de la Chambre de commerce de Zurich. Elle est aussi conseillère nationale (PLR) et membre de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique. Elle siège dans plusieurs comités et conseils d’administration.

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