«Un cinquième des coûts de la santé viennent d’un surapprovisionnement en soins»
Le niveau élevé des primes d’assurance-maladie préoccupe beaucoup la population suisse. Rien d’étonnant sachant que les primes ont doublé au cours des vingt dernières années. Ce phénomène vous inquiète-t-il aussi? Ou vous y êtes-vous habitués en tant que spécialistes de la santé? Andri Silberschmidt: A titre personnel, je regarde régulièrement si un assureur-maladie me convient mieux. Je trouve surtout les modèles alternatifs d’assurance intéressants parce qu’ils laissent place à l’innovation et permettent de profiter de primes plus basses en renonçant à certaines prestations. Et en effet, l’augmentation des primes suscite toujours la polémique dans mon groupe d’amis.
Limiter le catalogue des prestations: mais comment?
Le catalogue des prestations actuel est-il encore conforme aux règles définies initialement? Faut-il introduire des limitations et, si oui, sous quelle forme?
Vos amis vous demandent-ils d’enfin faire quelque chose pour y remédier?
Silberschmidt: Oui. La hausse des primes n’est toutefois pas une surprise. Malheureusement, le système de santé actuel n’incite pas à se montrer économe. Qu’importe si je vis sainement ou non, ma prime augmente.
Nicolas Rodondi: Bien entendu, la hausse des primes me préoccupe aussi, et il faudrait réfléchir à des mesures pour stabiliser les coûts. Mais il est important de considérer la situation dans son ensemble. La qualité des soins médicaux dispensés en Suisse est très élevée. Par rapport à d’autres pays d’Europe, la population est très satisfaite des prestations.
Quel est le rôle du catalogue des prestations dans l’évolution des coûts? A votre avis, l’assurance de base couvre-t-elle trop de choses?
Rodondi: Une mesure sans incidence sur la qualité consisterait à combattre le surapprovisionnement. Beaucoup de prestations très onéreuses sont proposées alors qu’elles ne présentent aucune utilité sur le plan médical. Selon l’OCDE, près de 20% des coûts de la santé sont liés à des traitements superflus. Il est urgent de remédier à ce dysfonctionnement.
Cela veut dire que j’économiserais un cinquième de ma prime si ce problème était résolu?
Rodondi: En théorie, oui. Malheureusement, il n’est pas simple d’éliminer les nombreux examens, opérations et médicaments superflus ainsi que les frais administratifs élevés qui en découlent. Chez «smarter medicine», nous avons déjà formulé plus de 100 recommandations pour réduire le surapprovisionnement en soins. Prenons l’exemple des médicaments pour l’estomac, qui ne servent à rien pour la moitié des patientes et patients et peuvent même provoquer des effets secondaires. Ces produits font plus de mal que de bien et sont tout de même remboursés par les assureurs-maladie.
Je me demande bien pourquoi on ne met pas le holà à ces traitements inutiles.
Rodondi: En Suisse, nous n’avons presque aucune information sur le surapprovisionnement. Il faut pourtant savoir où sont pratiqués trop de traitements inutiles, sans quoi il est impossible de prendre des mesures. Voici un autre exemple d’intervention très chère et qui n’apporte souvent rien. La vertébroplastie permet de consolider la colonne vertébrale avec du ciment osseux en cas de fracture ou de fragilisation d’une vertèbre. En Suisse, cette intervention est réalisée trop souvent parce qu’elle est remboursée par l’assureur-maladie.
Monsieur Silberschmidt, en tant que politicien de la santé soucieux de limiter les coûts, cela doit vous faire bondir.
Silberschmidt: Je commence par me redresser pour ménager ma colonne vertébrale. Plus sérieusement: en Suisse, lorsque quelqu’un reste en bonne santé, presque personne n’y gagne. Le problème est là. Les médicaments, les analyses de laboratoire et les traitements sont profitables. Il est logique qu’on ordonne des traitements si ceux-ci nous font gagner de l’argent. Je ne reproche rien aux prestataires, notre système est ainsi fait.
Rodondi: Je suis parfaitement d’accord. Notre structure tarifaire renforce le surapprovisionnement en soins. Des fortunes sont dépensées pour des examens et interventions tandis qu’une discussion importante avec une patiente ou un patient n’est pas remboursée. Pour une personne souffrant de maux de dos, les médecins ont deux options: accéder à la demande de la patiente ou du patient, l’envoyer faire une IRM et générer ainsi 500 francs de coûts, ou engager la discussion et expliquer qu’une IRM n’apportera pas forcément plus de réponses. Si la consultation dure plus de vingt minutes, elle ne sera pas remboursée.
Encore une fois, qu’est-ce que cela signifie pour le catalogue des prestations? Les assureurs-maladie couvrent-ils actuellement trop de prestations?
Silberschmidt: Il faudrait bien sûr épurer régulièrement le catalogue des prestations. Un bon exemple est la prise préventive de vitamine D, qui ne sert pas à grand-chose chez les gens en bonne santé, mais était tout de même remboursée par l’AOS. Cela a été rectifié. Je crains que l’assurance de base ne devienne de plus en plus une assurance générale. A quoi sert l’assurance complémentaire si tant de choses sont couvertes par la base?
Rodondi: Les nouvelles prestations, notamment, sont admises beaucoup trop facilement dans le catalogue. A l’heure actuelle, tout passe, même ce qui n’est pas efficace. Les personnes représentant l’industrie pharmaceutique dans la Commission fédérale des médicaments ont bien sûr avantage à ce que le catalogue intègre le plus de médicaments possible. Il faut un conseil de la santé indépendant et dénué de tout conflit d’intérêts pour examiner les nouvelles prestations.
«Il faut un conseil de la santé indépendant et dénué de tout conflit d’intérêts.»
Nicolas Rodondi
Il y a donc trop d’acteurs qui ont avantage à ce que le catalogue soit étendu pour des raisons financières?
Rodondi: Il est urgent d’instaurer des contrôles plus approfondis. Les nouveaux médicaments coûtent parfois plusieurs centaines de milliers de francs par année et par personne. Or, de grandes études ont montré que 50% d’entre eux ne servaient à rien. Ces médicaments sont sur le marché et sont remboursés. Lorsqu’ils sont sur la liste, on ne les déloge plus.
Depuis le printemps, les assureurs-maladie paient le médicament pour la perte de poids «Wegovy».
Rodondi: Ces injections provoquent un réel engouement. Elles sont très chères, mais ne sont pas un remède miracle pour le contrôle pondéral. Si on les interrompt, on reprend vite le poids qu’on a perdu. Pareil produit améliore-t-il réellement la santé de la population?
Les prestataires sont tenus légalement d’agir selon les principes d’efficacité, d’adéquation et d’économicité (EAE). Remplissent-ils véritablement cette obligation?
Silberschmidt: J’aborde à présent l’obligation de contracter et avance donc en terrain glissant. Les assurances disposent d’un volume considérable de données et savent donc quels prestataires génèrent des coûts disproportionnés. Au bout de cinq à dix ans, elles devraient pouvoir dire lesquels d’entre eux n’agissent pas selon les principes EAE. Elles devraient alors lancer des avertissements et, si rien ne change, en tirer les conséquences. Il y a cependant peu de mesures réglementaires pour les prestations ambulatoires.
Rodondi: Les assureurs-maladie peuvent agir dès à présent. Lorsqu’une ou un médecin génère des coûts beaucoup plus élevés que ses consœurs et confrères dans le même domaine de spécialisation, elle ou il doit rembourser les montants correspondants. Ou s’acquitter d’une lourde amende, comme cela a été le cas récemment à Genève. Malheureusement, on accorde ici trop peu d’attention à la qualité et au surapprovisionnement en soins. Je tiens à préciser que la plupart des médecins font du bon travail et respectent les critères EAE.
Faut-il des contrôles plus stricts et de nouvelles technologies pour mieux vérifier que les critères EAE sont respectés?
Silberschmidt: Il nous faut surtout plus de données, que nous devons mieux mettre en relation. J’attends beaucoup du nouveau programme «DigiSanté», qui vise à encourager la numérisation dans le domaine de la santé. Les assurances ont les mains liées en ce qui concerne les données, ce que je trouve très problématique. Elles ne peuvent même pas informer les patientes et patients de la possibilité d’opter pour un générique moins cher à la place d’un produit original. Cela doit changer. Les assureurs doivent être des acteurs et non plus seulement des payeurs.
Rodondi: Vous parlez des génériques. Des données de l’OCDE montrent qu’en Suisse, les génériques ne représentent que 23% du marché des médicaments contre 83% en Allemagne. C’est un écart énorme, qui se répercute bien entendu sur les coûts.
Silberschmidt: De manière générale, il faut plus de transparence au niveau des prix. La population n’a aucune idée de ce que coûte une prestation. Je vois des étiquettes de prix partout, sauf dans le domaine de la santé. Personne ne sait si une IRM coûte 500 ou 2000 francs. Les prestataires devraient indiquer les différentes possibilités de traitement et leurs coûts aux patientes et patients. Cela les sensibiliserait et leur permettrait d’agir de manière responsable.
Rodondi: Malheureusement, nombre de médecins ne connaissent même pas le prix de certains traitements. Nous avons récemment publié un article sur les réducteurs de cholestérol avec les prix. La transparence des coûts est primordiale à mes yeux.
«Il nous faut plus de données, que nous devons mieux mettre en relation. J’attends
Andri Silberschmidt-Buhofer
beaucoup du nouveau programme ‹DigiSanté›.»
Monsieur Silberschmidt, l’été dernier, le PLR a défrayé la chronique en lançant l’idée d’une assurance-maladie «low cost». En s’accommodant d’un catalogue des prestations réduit, on paie moins de primes. Qu’est-il advenu de ce projet?
Silberschmidt: Nous sommes en train de mettre en œuvre différentes mesures, dont voici trois exemples: conclusion de contrats pluriannuels avec un assureur-maladie, augmentation de la franchise maximale et possibilité pour les assurances d’informer les patientes et patients. En outre, nous avons frappé un grand coup au Parlement avec le financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires (EFAS), et j’espère que la nouvelle structure tarifaire TARDOC verra le jour. Malheureusement, trop d’acteurs politiques défendent le statu quo parce qu’ils en bénéficient.
Rodondi: Les prochaines étapes doivent se focaliser sur le surapprovisionnement, les génériques et le dossier électronique du patient, et les soins de base doivent être renforcés. Une consultation chez une ou un médecin de premier recours est beaucoup moins chère qu’une visite aux urgences. La question de maintenir une satisfaction élevée malgré des coûts inférieurs doit demeurer notre priorité.
Je souhaite rester en bonne santé le plus longtemps possible. Avez-vous un conseil à me donner?
Silberschmidt: J’ai une règle très simple: dormir au moins sept heures par nuit, éviter l’alcool au moins cinq jours par semaine et faire du sport au moins deux fois par semaine. Je m’y tiens depuis des années et me sens bien.