Vers une nouvelle société de la santé
Nous vivons dans la société de la santé. Jamais la santé n’avait eu autant d’importance. Les causes sont multiples: si l’état de santé et l’espérance de vie de la population augmentent considérablement, nous le devons au progrès de la médecine, aux standards de santé globalement élevés et à une meilleure alimentation. En conséquence, l’envie de vivre sainement devient une priorité pour un nombre croissant de personnes au fur et à mesure que l’âge augmente. La prospérité nous permet en outre d’investir du temps et de l’argent dans les prestations de santé, ce qui aurait autrefois été inimaginable ou considéré comme un luxe. L’amélioration constante du traitement de maladies qui, il y a quelques années encore, auraient entraîné des handicaps importants ou auraient écourté la durée de vie, voire l’absence de maladies, permettent aujourd’hui aux gens de se montrer beaucoup plus exigeants dans leur perception de la santé. En parallèle, de nombreux acteurs du marché de la santé proposent une offre de plus en plus large. Les analystes de tendances parlent dans ce contexte de la mégatendance de la santé. Consommation ou culture alimentaire, organisation du travail, aménagement des loisirs ou planification des vacances: la santé est un thème déterminant dans tous les contextes imaginables. Cette évolution change le comportement des gens et ainsi la demande en prestations de santé. Cela place aussi les assurances-maladie face à de nouveaux défis et leur attribue un nouveau rôle dans le système de santé de demain.
L’assurance-maladie de demain
Quelles grandes tendances influencent le domaine de la santé et donc les assurances-maladie? Les clients et les partenaires attendent-ils d’une assurance-maladie qu’elle fasse plus que proposer des produits d’assurance?
La santé, un investissement
L’importance actuelle de la santé entraîne une croissance massive de ce marché. A côté des nouvelles technologies et des découvertes scientifiques à l’origine des innovations, une stimulation de la demande est observée dansle domaine de l’alimentation, du corps, du sport et de la qualité de vie, alors que notre société vieillit de plus en plus. Nous vivons depuis longtemps dans une société de la santé. Cette affirmation est particulièrement pertinente pour la Suisse. Hormis les Etats-Unis, aucun pays n’investit autant dans ce domaine: selon le KOF, le Centre de recherches conjoncturelles de l’EPF Zurich, les dépenses de santé ont atteint le chiffre record de plus de CHF 86,5 milliards en 2018.
La gestion individuelle de la santé
Dans une société de plus en plus individualiste, cette tendance résulte aussi d’une prévention de plus en plus responsable en matière de santé. Avec une sensibilisation croissante par rapport aux enjeux de la santé, la proportion de personnes ayant une activité physique suffisante est par exemple en augmentation, comme le montre l’enquête suisse sur la santé actuelle. En conséquence, 68% de la population font attention à leur alimentation. La part de personnes qui ne mangent plus de viande plus de quatre fois par semaine a augmenté de 8% pour atteindre 65% entre 1992 et 2017. La forme physique et mentale, le bienêtre personnel et la satisfaction par rapport à sa santé deviennent les ressources clés de notre société.
La cybersanté
De ce fait, la santé devient aussi un bien de consommation. Le self-tracking en est l’illustration: face à la quête de santé, de bonne forme physique et de qualité de vie, les applications numériques pour smartphones, les bracelets de sport et autres appareils portables sont fréquemment choisis pour enregistrer et évaluer les performances physiques et les données santé. Ce qui ressemble à des produits lifestyle branchés à première vue s’inscrit dans un contexte beaucoup plus large si l’on y regarde de plus près: la transformation numérique de la médecine et de la santé. Aujourd’hui, la technologie numérique fait naître d’énormes espoirs: l’intelligence numérique doit nous aider à vaincre les infarctus du myocarde, le cancer et d’autres maladies. Les systèmes d’autoapprentissage codétermineront considérablement l’avenir de la médecine:
- pour le monitoring, autrement dit la surveillance de données corporelles qui seront automatiquement analysées en continu à l’avenir;
- au niveau du diagnostic, où des algorithmes intelligents posent le bon diagnostic plus rapidement que des médecins, permettant ainsi un meilleur traitement;
- pour la recherche de méthodes de traitement adaptées et de nouveaux médicaments, l’intelligence artificielle (IA) peut être beaucoup plus efficace grâce à d’énormes volumes de données provenant d’appareils de mesure et du programme GENSCAN (génie génétique).
C’est pourquoi les analystes de marché de Frost & Sullivan prévoient que le marché des systèmes IA dans le domaine des soins de santé soit multiplié par huit pour atteindre USD 6 milliards d’ici 2022. Comme pour de nombreuses innovations du domaine de la santé, tout tourne autour de l’espoir des gens de vivre plus longtemps et en meilleure santé. Depuis quelque temps, il faut non seulement compter avec les groupes technologiques et pharmaceutiques sur le marché de la santé, mais aussi avec un grand nombre de start-ups. Pas besoin d’aller très loin pour constater que le networking numérique entraîne des changements fondamentaux dans le domaine de la santé, qui donnent une nouvelle importance aux assureurs-maladie. La connectivité en tant que mégatendance modifie la demande relative aux prestations de santé ainsi que l’offre des prestataires de santé. En Suisse, près de deux tiers des consommateurs (64%) se procurent des informations déterminantes pour la santé via Internet, selon Eurostat. Dans le même temps, les prestations de télémédecine gagnent en importance pour la médecine de premier recours. Aujourd’hui déjà, dans les cabinets médicaux en ligne, un nombre croissant de médecins posent leurs diagnostics via Internet, 24h/24, et délivrent des ordonnances. Le système desanté doit également s’adapter à l’affinité numérique croissante des patients. Les patients deviennent des consommateurs de santé sûrs d’eux et responsables.
Par rapport à l’objectif d’avoir la haute main sur sa santé et de se faire conseiller sur la base d’un rapport d’égalité, les assureurs-maladie auront également un rôle plus important à jouer à l’avenir. Sans eux, de nombreuses personnes s’en sortiront difficilement compte tenu de la complexité croissante du système de santé et de la variété des offres.
En tant que patients, ils continueront d’avoir besoin de médecins compétents et d’autres professionnels de la santé, de la coopération multidisciplinaire croissante entre ces derniers, de standards de qualité élevés dans plusieurs domaines des soins, d’un grand nombre de fournisseurs de soins, etc.
Les assureurs-maladie de demain
Si les tendances décrites peuvent représenter un défi, il n’en demeure pas moins qu’elles offrent aussi de nouvelles opportunités aux assureurs.
Les consommateurs de santé réclament une démocratisation et génèrent une dynamique de marché qui va bien au-delà que ce que le libéralisme a apporté jusqu’à présent. Cela a un impact durable sur la qualification des offres de l’assurance-maladie. Elles doivent d’une part être plus larges compte tenu des nouvelles exigences accrues des clients, et d’autre part contribuer, compte tenu de la vaste gamme de prestations, à l’application de standards de qualité élevés parallèlement à une gestion intelligente des coûts. Dans le même temps, une nouvelle culture de la santé est en train de voir le jour à l’ère du numérique, dans laquelle la confiance joue un rôle-clé. Cela concerne notamment le domaine de la cybersanté. Toutefois, il n’est pas uniquement question de la protection des données dans le contexte de l’utilisation sur l’ensemble du territoire d’applications de télémédecine et d’IA. Dans le domaine de la santé, nous nous dirigeons à long terme vers une économie de plateforme: avec l’interconnexion croissante des entreprises et des secteurs d’activité ainsi que l’automatisation de plus en plus importante des processus, la complexité augmente et les lignes de démarcation s’effacent. A de nombreux égards, les plateformes en ligne et les nouveaux réseaux permettent d’échanger des ressources et font office d’intermédiaires pour les relations commerciales. Ils contrôlent la circulation des informations, mais aussi la mise à disposition des marchandises et des services. Les assureurs-maladie peuvent remplir une fonction d’interface décisive dans de tels écosystèmes d’affaires ayant trait à la santé.
En cela, ils sont une instance importante, de par leurs compétences et leur neutralité, qui peut veiller à la transparence, à la sécurité et à la confiance. De ce fait, leur importance dans l’esprit des assurés augmente aussi: leur chance est d’évoluer du rôle de simple prestataire vers celui de véritable instance de confiance, de façon à établir une relation client entièrement nouvelle. Permettre la collaboration basée sur le partenariat, la communication d’égal à égal et les solutions individuelles par-delà les processus standard deviendra un critère de qualité décisif. Il en découlera pour les assureurs un nouveau potentiel de création de valeur s’ils se positionnent comme des intermédiaires entre le client et le système de santé. Ils peuvent se transformer en compagnons d’un style de vie actif et d’une culture moderne de la santé. Des offres desanté globales interconnectées, qui détermineront la demande de façon toujours plus marquée à l’avenir, requièrent des services intégrés qui permettent aux assurés de mener une vie saine et d’être attentifs à leur santé. Cela nécessite toutefois de la part des assureurs- maladie de devenir des gestionnaires de la santé et de se développer au-delà de leur activité principale actuelle. Le changement de la conception de la santé constitue un autre exemple. La santé tend à être définie de façon plus générale, comme le montre par exemple le fait que les gens consultent de plus en plus pour cause de problèmes psychiques.
De nos jours, il ne suffit plus d’être physiquement en bonne santé. Le bien-être mental est de plus en plus au centre de l’attention. Preuve en est aussi la demande croissante pour les concepts thérapeutiques de médecine alternative et complémentaire. Accompagner cette mutation de manière constructive et étayée scientifiquement dans une optique d’assurance qualité peut aussi être une tâche essentielle des assureurs-maladie. Il est toujours question de promesse de prestations de santé, mais cellesci doivent tenir compte de l’évolution des exigences et des nouveaux besoins des assurés. Ainsi, pour proposer des prestations de santé réellement adaptées aux besoins, les futures offres des assureurs devront beaucoup plus être conçues, organisées et structurées en fonction des besoins et des exigences des clients et de leurs styles de vie.