«La pharma est prête à faire sa part»
Sonja Hasler: Notre pays est l’un des plus chers au monde en matière de coûts de la santé. Le prix élevé des médicaments y est pour quelque chose. Selon l’association d’assureurs-maladie curafutura, les dépenses pour les médicaments dans l’assurance de base sont passées de cinq à près de huit milliards de francs. Madame Bruckner, l’industrie pharmaceutique profite-t-elle de la vente de médicaments pour s’enrichir?
Sabine Bruckner: Non. Ce qui est important, c’est de voir le contexte dans son ensemble. Si nous regardons les coûts des médicaments par rapport aux dépenses de santé, ils sont restés stables depuis des années, avec une part d’environ 12 % des dépenses totales de santé. Si nous y regardons de plus près, nous constatons que, d’une part, la quantité de médicaments a augmenté ces dernières années. La démographie joue un rôle déterminant à cet égard, car la population de la Suisse est croissante et vieillissante. D’autre part, des innovations permettent aujourd’hui de soigner des maladies pour lesquelles il n’existait pas de traitement auparavant.
Thomas Christen: Les coûts des médicaments sont restés stables pendant longtemps. Mais, depuis 2014, la croissance du prix des médicaments est nettement supérieure à celle des autres prestations et, l’année dernière, cette tendance s’est encore accentuée. Cette évolution nous inquiète, notamment parce que chaque franc dépensé pour les médicaments doit être financé par un franc de prime.
Sabine Bruckner: Je suis d’accord avec vous, Monsieur Christen. Nous devons prendre au sérieux les inquiétudes de la population concernant l’augmentation des primes d’assurance-maladie. Nous devons trouver ensemble des solutions pour freiner les coûts de la santé. Aujourd’hui déjà, l’industrie pharmaceutique fait sa part. Grâce au contrôle du prix des médicaments à intervalles réguliers, la Suisse peut économiser chaque année environ 1,2 milliard de francs.
Limiter le catalogue des prestations: mais comment?
Le catalogue des prestations actuel est-il encore conforme aux règles définies initialement? Faut-il introduire des limitations et, si oui, sous quelle forme?
L’Office fédéral de la santé publique doit garantir l’économicité des médicaments. Les experts affirment que vous pourriez obtenir encore davantage. Ont-ils raison, Monsieur Christen?
Thomas Christen: Nous suivons la situation de très près. Rien qu’au cours des deux dernières années, nous avons pu baisser le prix de plus de 1000 médicaments et économiser ainsi environ 200 millions de francs. Cela dit, la tendance actuelle avec les nouveaux médicaments, toujours plus chers, nous préoccupe. Il y a quelques années, il était encore exceptionnel qu’un nouveau médicament coûte 100 000 francs par année. Aujourd’hui, il n’existe pratiquement aucun médicament contre le cancer qui ne coûte pas au moins 100 000 francs, et plusieurs coûtent des centaines de milliers de francs par année. Nous devons mettre en place de nouveaux modèles de prix afin d’infléchir cette tendance.
«Réduire les coûts d’une thérapie au seul prix des préparations est simplificateur.»
Sabine Bruckner
Il est vrai que de plus en plus de nouveaux médicaments très onéreux arrivent sur le marché. Le médicament le plus cher au monde est «Zolgensma» de Novartis. Il est utilisé pour traiter une maladie héréditaire mortelle et coûte environ deux millions de dollars pour un traitement unique. On peut aussi penser à «Vyndaqel», un médicament fabriqué par Pfizer qui permet de soigner une maladie cardiaque rare. Il coûte plus de 150 000 francs par année. Qu’est-ce qui justifie des coûts aussi élevés?
Sabine Bruckner: Vous devez savoir que, pour un médicament, les coûts liés à la recherche sont aujourd’hui d’environ deux milliards de francs. Je pense que réduire les coûts d’une thérapie au seul prix des préparations, sans tenir compte des bénéfices ultérieurs liés à l’allègement du système de santé, est simplificateur. Mais je suis tout à fait d’accord que nous devons trouver de nouveaux moyens de maîtriser les coûts du système de santé. Nous constatons les limites des méthodes traditionnelles d’évaluation des prix, en particulier avec les thérapies innovantes.
En réalité, on ne peut pas savoir si les nouveaux médicaments tiendront leurs promesses. D’ailleurs, il y a eu deux décès récemment avec «Zolgensma». Le surveillant des prix Stefan Meierhans a même affirmé qu’il existait plusieurs nouveaux médicaments chers sans être meilleurs ou plus efficaces que les anciens.
Sabine Bruckner: Il est clair que nous avons une responsabilité à cet égard. Je pense par exemple au modèle «pay for performance», où le prix dépend de l’efficacité d’une thérapie sur une période donnée.
Thomas Christen: C’est précisément de ce type de nouvelles approches dont nous avons besoin. Jusqu’à présent, nous avions un système très simple: nous comparions le prix du médicament à l’étranger avec le prix d’un médicament destiné à combattre la même maladie en Suisse et nous faisions une moyenne. Aujourd’hui, le problème est que nous ne connaissons plus le prix à l’étranger puisqu’il est négocié de manière confidentielle. C’est pourquoi le Parlement se penche actuellement sur cet objet. A l’OFSP, nous travaillons à l’élaboration concrète de ces nouveaux modèles de prix, de concert avec l’industrie pharmaceutique et les assureurs.
Vous évoquez les négociations de prix confidentielles avec l’industrie pharmaceutique. La Suisse a longtemps été un îlot de transparence. On savait au franc et au centime près combien coûtait un médicament. Mais ces dernières années, l’OFSP a fixé le prix de quelques douzaines de médicaments de façon confidentielle. Cette manière de procéder connaît plusieurs détracteurs au pays. Pourquoi la Suisse s’engage-t-elle dans de tels accords?
Thomas Christen: Récemment, au cours d’une conférence internationale, la question suivante a été posée: quel pays affiche encore de manière transparente tous les prix des médicaments? La Suisse a été la seule à lever la main. Cela signifie que tous les autres pays négocient des rabais dont nous ignorons la teneur. Tant qu’il en sera ainsi, nous devrons suivre le mouvement, faute de quoi nous paierons des prix excessifs en Suisse. Nous sommes convaincus qu’à terme, les rabais négociés profitent aux personnes qui paient les primes. Il est clair, cependant, que nous continuerons à nous engager sur le plan international pour rétablir une plus grande transparence dans la fixation des prix.
«Aujourd’hui, il n’existe pratiquement aucun médicament contre le cancer qui ne coûte pas au moins 100 000 francs.»
Thomas Christen
Les intérêts du secteur pharmaceutique semblent évidents: la Suisse étant un pays riche, votre rôle n’est-il pas de négocier un prix aussi élevé que possible de façon confidentielle?
Sabine Bruckner: Les prix ne sont pas tenus secrets. Ils ne sont pas accessibles publiquement sur le plan international, mais tous les acteurs concernés, comme les assureurs-maladie, les connaissent. En outre, seul un petit nombre de médicaments très spécialisés est négocié de cette façon. Notre intérêt premier est que les médicaments soient mis à la disposition des patientes et patients le plus rapidement possible. Nous parlons ici de personnes gravement malades qui attendent un traitement. Le système actuel a ses limites, car les négociations prennent trop de temps. Nous proposons donc le modèle qui consiste à rendre accessible à l’ensemble des patientes et patients un médicament à un prix provisoire dès son autorisation. Le prix fixe serait négocié plus tard, et la différence entre le prix provisoire et le prix définitif serait remboursée par le fabricant.
Thomas Christen: Nous avons le même objectif, Madame Bruckner. Les médicaments innovants doivent être rendus accessibles le plus rapidement possible. Mais nous devons aussi tenir compte des coûts et, en ce sens, nos intérêts divergent. Nous le voyons aussi dans les négociations. Ce sont souvent les exigences élevées de l’industrie pharmaceutique en termes de prix qui ralentissent tout le processus d’admission des médicaments. Ce délai nous paraît exagéré à nous aussi.
Pour résumer, vous souhaitez tous les deux que les personnes malades obtiennent les nouveaux médicaments le plus rapidement possible. Monsieur Christen, que pensez-vous de la proposition de Madame Bruckner: les nouveaux médicaments devraient-ils être immédiatement remboursés par les caisses et le prix définitif, négocié ultérieurement? Il s’agirait, en quelque sorte, d’un prix à l’essai, comme en Allemagne.
Thomas Christen: Nous menons des discussions approfondies avec la branche au sujet de cette proposition, notamment. Mais des doutes subsistent, car si le prix initial est élevé, il n’y aura pas d’incitation pour l’industrie pharmaceutique à le baisser par la suite. C’est pourquoi nous craignons d’alourdir davantage le processus dans son ensemble.
Sabine Bruckner: Nous ne cherchons pas simplement à obtenir le meilleur prix. Nous voulons aussi que le système de santé soit financé de manière durable. Ce modèle n’est pas inconnu. Aujourd’hui déjà, les art. 71a à 71d OAMal nous permettent de fixer un prix provisoire au cas par cas avec les assureurs-maladie et de le renégocier par la suite. Mais cela représente un immense travail bureaucratique, car chaque assurance-maladie négocie un prix pour chaque patiente ou patient avec chaque fabricant dans le cadre d’une procédure individuelle. En simplifiant le système, nous pourrions réaliser des économies sans pour autant perdre en qualité thérapeutique.
Thomas Christen: C’est exactement ce que souhaite obtenir le Conseil fédéral avec la révision des art. 71a à 71d OAMal, qui vise essentiellement à réduire la charge bureaucratique et à aplanir les inégalités de traitement entre les patientes et patients. Cette disposition nous permet de rembourser le plus rapidement possible des médicaments vitaux dans des cas exceptionnels, parfois même avant l’autorisation de Swissmedic. Cependant, le pilier principal reste la liste des spécialités de l’OFSP.
De nouvelles avenues visant à juguler les coûts des médicaments sont déjà sur la table. Notamment, celle proposée par le conseiller aux Etats PLR Josef Dittli. Selon ce modèle, le prix d’un nouveau médicament tient également compte du nombre de personnes qui se le procurent. Autrement dit, plus un médicament est vendu, plus son prix est avantageux. Cela me semble une évidence. Qu’en pensez-vous, Madame Bruckner?
Sabine Bruckner: Oui, nous sommes prêts à faire notre part. Si nous constatons, par exemple, qu’un médicament utilisé pour traiter une maladie est également efficace pour une autre indication, nous pouvons octroyer des réductions à la suite de la hausse du volume de vente.
Thomas Christen: Je me réjouis de la volonté de Madame Bruckner de participer à cette discussion sur les modèles. Il est important que les médicaments les plus utilisés soient remboursés à un prix plus avantageux. Récemment, j’ai vu qu’un médicament qui coûte 150 000 francs par année était utilisé à vie chez 1000 patientes et patients. Cela représente 150 millions par année pour un seul médicament, ce qui est beaucoup trop élevé et renvoie à une question d’ordre éthique: combien est-on prêt à payer pour un médicament onéreux? Il appartient à la société de répondre à cette question.
Les nouveaux modèles de prix font actuellement l’objet d’âpres discussions entre l’industrie pharmaceutique, le secteur de la santé, la Confédération et le monde politique. Le Surveillant des prix a d’ailleurs affirmé, avec une pointe de provocation, que c’était un peu comme au football: 22 personnes courent après le ballon et, à la fin, c’est la pharma qui gagne.
Sabine Bruckner: Cette affirmation me fait réagir personnellement, car, chez Pfizer, la patiente ou le patient est au centre des préoccupations. Nous savons que derrière nos thérapies, derrière chaque médicament, il y a une personne qui souffre. Nous voulons apporter notre contribution, mais pas uniquement dans une optique d’économicité. Nous voulons participer de manière réfléchie et durable.
Thomas Christen: Je ne partage pas non plus l’opinion du Surveillant des prix. Les nombreux recours de l’industrie pharmaceutique contre des décisions de l’OFSP sont la preuve que nous négocions avec fermeté. Nous examinons toutes les prestations, y compris les médicaments, et nous continuerons à le faire, notamment pour les nouvelles thérapies onéreuses.