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Pouvons-nous réformer le système de santé suisse?

Le système de santé suisse est très marqué par le fédéralisme. Cette situation fait véritablement obstacle à un contrôle raisonnable, comme l’ont montré les débats de la manifestation de politique de la santé organisée à Berne par la CSS en février 2018.

Roland Hügi, conseiller en communication et ancien rédacteur en chef de "place au dialogue"

18. juin 2018

Ses propos étaient limpides: un «monstre vorace qui se nourrit d’argent». C’est en ces termes que Thomas Mattig, le directeur de Promotion Santé Suisse, a décrit notre système de santé dans une interview en 2017. Un compromis typiquement suisse a été trouvé, puisque l’on s’est doté d’un système de santé qui n’est pas étatique, mais n’est pas non plus géré selon les principes de l’économie privée. Th. Mattig affirme par ailleurs que le contrôle par l’Etat ne fonctionne pas correctement. Mais peuton réellement contrôler raisonnablement le système de santé suisse très complexe dans le contexte de notre fédéralisme? Et si oui, les acteurs du système en font-ils assez pour oeuvrer à l’objectif commun, à savoir un système de santé efficace et viable? Début février 2018, la manifestation de dialogue de la CSS dans le domaine de la politique de la santé, qui s’est tenue à Berne, s’est penchée sur ces questions.

Le système de santé fédéraliste

Les CFF, un exemple à suivre?

L’oratrice invitée, Kathrin Amacker, membre de la direction du groupe CFF, a expliqué comment piloter un système hautement complexe. Dès le début de son intervention, elle a insisté sur un aspect central: en 1902, les CFF avaient surtout été créés parce que le conglomérat de chemins de fer cantonaux de l’époque était tout simplement trop complexe pour une mise en réseau judicieuse et des transports publics structurés. «Dans les transports publics, nous avons néanmoins encore affaire aujourd’hui à un paysage extrêmement complet avec de nombreuses parties prenantes», a insisté K. Amacker. Concrètement, 246 entreprises de 18 communautés veillent aujourd’hui à ce que pratiquement chaque vallée retirée soit desservie par les transports publics et à ce que les correspondances entre ces derniers soient garanties. «Toutefois, quand il faut prendre des décisions, un tel système global est très lent», a ajouté K. Amacker. «Les solutions radicales ne sont pas possibles. C’est plutôt la politique des petits pas.» Elle a précisé qu’il fallait toujours avoir le courage d’exercer une destruction créatrice et de tester de nouvelles formes de mobilité possibles. K. Amacker a cité comme exemple le projet «Cargo souterrain», une approche innovante pour un transport souterrain des marchandises en Suisse.

Cantons vs assurance-maladie

Les transports publics peuvent-ils donc servir de modèle pour le système de santé suisse quand il est question de surmonter les structures fédéralistes et de trouver des solutions communes? Et comment se présente la destruction créatrice des structures existantes? Sur cette question, Thomas Heiniger, directeur de la santé publique du canton de Zurich et directeur de la Conférence des directeurs de la santé, et Philomena Colatrella, CEO de la CSS, ont croisé le fer lors d’un débat contradictoire sur la politique de la santé. A la question de savoir si les CFF pourraient servir d’exemple, Th. Heiniger a indirectement répondu par «non». «Les CFF sont une entreprise, ce qui les différencie de manière tout à fait essentielle du système de santé suisse, qui présente une complexité inégale et ne peut pas être dirigé de manière centralisée.» Ph. Colatrella a acquiescé, mais cela a pratiquement été le seul point d’accord entre eux. Cette dernière a par ailleurs précisé que la notion de contrôle pouvait être interprétée de manière très diverse.

Les intérêts politiques locaux

Dans ce contexte, Ph. Colatrella a cité l’introduction d’un financement hospitalier homogène en 2012. «Ceux qui en avaient espéré plus de concurrence ont été cruellement déçus. Le potentiel est loin d’avoir été épuisé.» Elle ajoute que, lors de la planification des besoins dans le domaine hospitalier, les parties prenantes se sont plutôt laissé guider par la politique locale et ont plus ou moins cimenté le statu quo. Dans ce contexte, Th. Heiniger a insisté sur le fait que les cantons, conformément à la Constitution, doivent veiller à   des soins adéquats et économiquement supportables. «Dans le sens d’un pilotage, le canton fixe donc le cadre, à l’intérieur duquel la concurrence peut et doit s’exercer.» Il a ajouté qu’en tant que directeur cantonal de la santé publique, il devait en permanence tenir compte du double rôle des citoyens: comme contribuables et payeurs de primes, leur intérêt est que les soins soient économiquement supportables. De l’autre côté, ils souhaiteraient en tant qu’assurés des prestations à la hauteur de leurs exigences individuelles en cas de maladie. «Il est ainsi question de la santé, de la qualité de vie, et parfois même de la vie et de la mort. En ma qualité de directeur cantonal de la santé, je me dois d’en tenir compte.»

Se défaire du fédéralisme

Ph. Colatrella n’a pas contesté ce constat. Mais dans ce contexte, elle a regretté l’absence d’une planification globale, qui ne s’arrête pas aux frontières cantonales. «C’est pourquoi il est impératif de formuler des objectifs non liés à nos structures fédéralistes. Et surtout, nous devons relier ces objectifs à des champs d’action.» Ainsi seulement, le système de santé suisse arrêtera de tourner en rond, et les dépenses cesseront d’augmenter de façon exponentielle. Dans ce contexte, Ph. Colatrella est revenue sur le rapport d’experts rédigé à la demande du Conseil fédéral et publié en 2017. Il répertorie 38 mesures pour freiner la spirale des coûts dans le système de santé. «Ce rapport peut donner des impulsions», a expliqué Ph. Colatrella. Puis de préciser l’importance que tous les acteurs au sein du système trouvent un terrain d’entente pour définir des buts communs, par exemple les objectifs en matière de coûts. Sur ce point, Th. Heiniger a acquiescé et souligné à nouveau que son canton recherchait d’ores et déjà des solutions économiquement supportables. Quand l’animateur lui a demandé si un pilotage s’imposait plutôt au niveau national, et pas en priorité au niveau cantonal, Th. Heiniger a affirmé avec force: «Les cantons sont les mieux à même de réglementer le système de santé pour qu’il continue à répondre aux exigences de la population. Car au final, il doit correspondre aux patients.»

Le grand dilemme

Plus le débat entre Th. Heiniger et Ph. Colatrella avançait, plus le dilemme devenait clair. Tandis que cette dernière a réclamé de manière répétée une planification hospitalière globale avec des régions de soins faisant fi des limites imposées par le fédéralisme, Th. Heiniger a insisté tout aussi souvent sur l’autonomie cantonale et la satisfaction des patients qui s’y rapporte. De plus, il a contesté le fait que la planification supracantonale serait inexistante à l’heure actuelle. Dans ce contexte, il a fait référence à la médecine hautement spécialisée, dont les contours sont effectivement en train de se préciser dans le paysage hospitalier suisse.

Ne pas occulter la question des primes

Lors de la table ronde finale en présence d’une soixantaine de participants, il a moins été question de la mesure dans laquelle le contrôle s’imposait dans le système fédéraliste. Les personnes présentes se sont renvoyé la patate plus au moins chaude de l’évolution des coûts dans le système de santé suisse en essayant de déterminer qui pourrait en être responsable. Lors de tout le débat relatif à la planification, aux soins et à la satisfaction des patients, le conseiller aux Etats Erich Ettlin a évoqué un aspect qui est peut-être le plus essentiel: «Nous avons parlé en long et en large de notre système de santé et de la manière dont il devrait être planifié et contrôlé. Mais il y a un point que nous avons écarté de nos discours scientifiques: les primes d’assurance- maladie. Pour les Suisses, elles représentent une charge presque insupportable.» Si l’on continue à s’exclamer simplement que le système de santé suisse est bon, que la satisfaction des patients est grande, tout en occultant la question des dépenses exorbitantes, la situation va dégénérer, a-t-il ajouté. «Si nous continuons à observer de façon lapidaire que le système de santé est bon, mais ma foi très cher, cet argument finira par se retourner contre nous. Les assurés qui ne parviennent plus à payer leurs primes trouveront des solutions, desquelles ni la branche de la santé, ni les politiques n’auront à se réjouir.» C’est pourquoi nous serions bien avisés de prendre au sérieux les soucis de la population et de débloquer la situation le plus rapidement possible. Car: «Le système a échoué.» Une déclaration que l’assistance n’a pas réfutée et que Michael Jordi, le secrétaire central de la Conférence suisse des directrices et directeurs cantonaux de la  santé (CDS), qui fait partie de la commission d’experts susmentionnée, a prononcée comme une sorte de souhait final: «Nous devons nous garder d’examiner les 38 mesures séparément l’une de l’autre et de les opposer les unes aux autres.» Nous avons plutôt sur la table un éventail de possibilités qui, si elles étaient  bien imbriquées, pourraient contribuer à endiguer la spirale des coûts. Puis, en regardant l’assistance, où tous les acteurs du système de santé suisse étaient représentés, il a affirmé: «Chacun de nous comprend que nous devons faire quelque chose, et vous pouvez tous y contribuer.»

Roland Hügi

est conseiller en communication et ancien rédacteur en chef de « place au dialogue »

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