Sophie Michaud Gigon et Benjamin Roduit

Pour: Benjamin Roduit
Ne nous trompons pas de voie! La première préoccupation de la population suisse aujourd’hui est l’augmentation des primes maladie due aux coûts de la santé, et non la transparence. Si le remboursement des médicaments et la fixation de leur prix suscitent des questions légitimes, il est bon de rappeler certaines évidences.
En premier lieu, la transparence en matière de coûts ne suffit pas pour faire baisser les prix. A titre d’exemple, l’envoi systématique des copies de facture aux patientes et patients depuis le 1er janvier n’a pas freiné la croissance des coûts de la santé, estimés pour 2022 à plus de 5%. Or, qui dit transparence, dit comparaison. Lorsqu’il s’agit de médicaments innovateurs dont la fixation du prix s’appuie sur de multiples critères (recherche, prévalence, accroissement de volume, efficience, thérapies combinées, etc.), il est pourtant impossible d’établir des comparaisons fiables.
Redistribuer les cartes
Dans le domaine de la santé, le fédéralisme exige le recours à de nouvelles approches, y compris au-delà des frontières cantonales.

En second lieu, il est bon de rappeler que, dans un système de santé libéral, la concurrence entre les fabricants constitue un facteur non seulement de baisse des prix, mais aussi de protection des consommateurs. L’industrie pharmaceutique non seulement est concernée par les fameux critères EAE (efficacité, adéquation et économicité), mais elle a aussi tout intérêt à les optimiser. Les Etats qui prônent le système de la caisse unique et s’impliquent trop dans la gestion des prestations souffrent de l’esprit fonctionnaire et minimaliste des acteurs de la santé. Lorsque le Parlement a refusé la publication des contrats relatifs aux vaccins COVID, il a bien saisi l’intérêt de cette concurrence pour l’approvisionnement du pays.
«Parler d’opacité, c’est oublier tout le travail de négociation mené par les partenaires tarifaires.»
Benjamin Roduit
Enfin, parler d’opacité, c’est oublier tout le travail de négociation mené par les partenaires tarifaires. Un exemple? Pour combattre la mucoviscidose, le médicament Trikafta (Vertex) constitue à ce jour le meilleur traitement. Pour des raisons de coûts, il était limité aux adultes. En quelques tours de discussion entre parlementaires, associations, fabricants et l’OFSP, il a été possible d’en reconnaître l’usage dès 6 ans.
Pire, au nom de la transparence, les procédures de fixation du prix de nouveaux médicaments par l’OFSP se prolongent sur près d’une année après leur admission par Swissmedic. Dans le cas de maladies rares, des décès interviennent dans l’intervalle. A cet effet, plusieurs interventions parlementaires en commission et au plénum exigent des bases légales pour que des modèles de prix soient appliqués provisoirement. Si la santé a un coût, la transparence aussi!
Contre: Sophie Michaud Gigon
Notre système de santé est plein d’angles morts. Si l’on connaît, par exemple, la prime d’assurance qui grève mensuellement le budget des ménages, on ne dispose d’à peu près aucun détail sur la procédure qui conduit à son calcul.
Depuis le changement de l’ordonnance sur la surveillance de l’assurance-maladie (OSAMal), l’opacité a même augmenté: en autorisant le calcul des primes au plus juste par une ponction dans les réserves, le Conseil fédéral dispose d’un levier pour négocier avec les caisses une diminution de leurs provisions excédentaires. Les personnes assurées – à qui ces réserves appartiennent – ne savent pourtant rien de ces négociations.
L’asymétrie d’information se retrouve ailleurs dans les prises en charge LAMal ou complémentaires LCA: les grilles tarifaires à 4600 ou 2700 positions sont les meilleurs remparts pour casser les déjà peu nombreuses vocations chez les patientes et patients de comprendre une facture. Et la manière dont les honoraires privés des médecins sont calculés – la FRC a enquêté sur le sujet – finit d’achever les plus résistants.
«Comment voulez-vous inciter des prestataires à une plus grande ouverture et collaboration en instaurant un régime d’exception pour un acteur central?»
Sophie Michaud Gigon
Face à ce constat, voilà donc que le Conseil fédéral propose encore moins de transparence, créant un dangereux précédent: négocier secrètement des rabais sur certains médicaments avec le secteur pharmaceutique, le problème n’étant pas, bien entendu, la négociation de rabais, mais bien le secret. Comment voulez-vous inciter les autres fournisseurs de prestation à une plus grande ouverture et collaboration, avec pour objectif la baisse des coûts, en instaurant un régime d’exception pour un acteur central?
L’organisation et la gestion de notre système d’assurance-maladie ont été organisées afin d’y maintenir autant que possible une logique de libre marché. Soit. Si la mise en concurrence des acteurs publics et privés implique de protéger ici et là le secret des affaires, le prix, comme information disponible, permet de faire jouer la concurrence. Faute de quoi, le marché est non plus libre, mais capté par la poignée d’acteurs qui détient l’information. C’est le modèle qui nous est vendu ici.
L’industrie pharmaceutique – innovante et entrepreneuriale, bien sûr – opte, quand cela l’arrange, pour une mesure qui n’a plus rien de libéral. Après avoir mobilisé l’artillerie lourde pour empêcher les importations parallèles de médicaments (un autre outil de base du marché globalisé), elle nous révèle désormais ses affinités avec la bureaucratie.