Une question d’équité
Développer de nouveaux médicaments coûte de l’argent. Plus le processus de développement est complexe, plus les coûts augmentent. En conséquence, les nouveaux médicaments sont plus chers. Selon la logique décisionnelle de l’économie de marché, les prix dépendent, d’une part, des conditions inhérentes à un emplacement donné et, d’autre part, de la disposition des clientes et clients à payer. Par ailleurs, la survie des entreprises pharmaceutiques dépend de leur capacité à couvrir les coûts de création et d’innovation avec les prix de vente. Si elles y parviennent, elles ne seront pas déficitaires.
Limiter le catalogue des prestations: mais comment?
Le catalogue des prestations actuel est-il encore conforme aux règles définies initialement? Faut-il introduire des limitations et, si oui, sous quelle forme?
Fixation des prix selon l’économie de marché
La Suisse, en tant qu’îlot de cherté, est intéressante pour la fixation du prix des nouveaux médicaments, puisque le prix des médicaments en Suisse sert de référence pour la fixation du prix des médicaments à l’étranger. C’est pourquoi les médicaments en Suisse sont particulièrement chers. Cela ne pose pas de problème dans un système d’économie de marché, où la demande, la disposition à payer et la capacité de paiement de la clientèle déterminent les prix et les bénéfices qui en découlent. Si les bénéfices ne suffisent plus à couvrir les dépenses, les entreprises doivent fermer. Selon la logique décisionnelle de l’économie de marché, les médicaments sont des biens commerciaux privés sans autres obligations sociales, avec lesquels les entreprises cherchent à maximiser leurs bénéfices.
La santé en tant que bien public
Dans le système de santé de droit public, l’accès à des médicaments efficaces est une responsabilité sociale du fait que la santé constitue un bien public. En nous obligeant à payer des cotisations, l’assurance-maladie obligatoire rend opérationnelle notre responsabilité à l’égard des personnes malades au sein de la population. Les ressources pour les biens de droit public sont soumises aux exigences en matière d’équité. Comme elles sont toujours limitées, il faut garantir l’équité en matière de répartition, de solidarité et d’accès pour toutes les personnes dans le besoin. Les médicaments ne sont pas des biens entièrement privés, puisqu’ils sont soumis à ces principes d’équité. En conséquence, les prix excessifs des médicaments posent un problème d’équité étant donné qu’ils mobilisent des ressources financières qui pourraient être utilisées plus efficacement ailleurs.
Besoin d’action
Pour des raisons d’équité, l’Etat est tenu de veiller à ce que les prix des médicaments soient raisonnables. Il est nécessaire d’agir en Suisse à cet égard, sachant que des critères objectifs permettant de fixer le prix des médicaments font défaut. Pour ce faire, il faudrait instaurer des seuils coûts-efficacité contraignants, qui seraient mis en œuvre par le biais de processus de Health Technologie Assessement (HTA) transparents et indépendants. Les contrats conclus entre l’Etat et l’industrie pharmaceutique doivent donc être rendus publics. Faute de processus décisionnels transparents, la fixation des prix continuera d’obéir à la logique de l’économie de marché et aux lobbyistes.
De même, des modèles tels que «pay per performance», proposés par l’industrie en échange de prix élevés et d’un accès rapide aux innovations, nécessitent un processus d’évaluation indépendant et transparent pour déterminer le rapport coûts-efficacité. En 2022, le Swiss Medical Board a cessé ses activités, ce qui envoie un mauvais signal. La Suisse n’a désormais plus de comité HTA indépendant, comme l’Iqwig en Allemagne ou le NICE en Grande-Bretagne. Au lieu de cela, le Conseil fédéral va jusqu’à proposer des exceptions au principe de transparence pour les contrats et les coûts avec l’industrie pharmaceutique. Le manque de processus d’évaluation indépendants favorise en outre la maximisation des profits pour les nouvelles offres de prestations du système de santé. Le développement de ces prestations est souvent cofinancé par les pouvoirs publics alors que le bénéfice financier est entièrement privatisé. Le système de santé suisse se trouve alors dans une situation financière difficile, et le problème de l’équité s’aggrave. Cette tendance négative peut être renversée moyennant la volonté politique nécessaire et un changement d’attitude de la part de l’industrie. Malheureusement, je ne vois ni l’une ni l’autre de ces conditions poindre à l’horizon.
De la même auteure
Wiebke Vortriede, Unnütze Behandlungen – doch Wille zum Sparen fehlt, Gesundheitstipp 06/2022. (en allemand)
Güvengül Koz Brown, Heilung – um jeden Preis? Vivere 4/2019. (en allemand)